Chat, c’est du théâtre jeune public !
Joli coup de griffe, avec “L’étrange intérieur”, et déjà des coups de cœur, ce week-end aux Rencontres de Huy. Comment débutent les Rencontres ? Par un coup de cœur, parfois, une évidence, une envie de raconter à l’autre qu’on vient de se laisser porter par un spectacle où la magie le dispute à la poésie. Ainsi parlaient les festivaliers, au début des Rencontres théâtre jeune public, à la sortie des Carnets de Peter par le Théâtre du Tilleul. Parfois, au contraire, le lien se fait en hésitation et douceur, à la rencontre de L’ours qui n’était pas là (La joie de lire, 2015), d’Oren Lavie et du grand illustrateur Wolf Erbruch. Un album que la compagnie Laroukyne a eu la bonne idée d’adapter, pour une rencontre intime autour de questions philosophiques – “qui suis-je ?”, “où vais-je ?”, “es-tu bien moi ?”, “que fait-on avec la force qu’on a ?” – qui, parfois, mènent à soi.
- Publié le 19-08-2019 à 10h02
- Mis à jour le 19-08-2019 à 10h03
Joli coup de griffe, avec “L’étrange intérieur”, et déjà des coups de cœur, ce week-end aux Rencontres de Huy.
Comment débutent les Rencontres ? Par un coup de cœur, parfois, une évidence, une envie de raconter à l’autre qu’on vient de se laisser porter par un spectacle où la magie le dispute à la poésie. Ainsi parlaient les festivaliers, au début des Rencontres théâtre jeune public, à la sortie des Carnets de Peter par le Théâtre du Tilleul.
Parfois, au contraire, le lien se fait en hésitation et douceur, à la rencontre de L’ours qui n’était pas là (La joie de lire, 2015), d’Oren Lavie et du grand illustrateur Wolf Erbruch. Un album que la compagnie Laroukyne a eu la bonne idée d’adapter, pour une rencontre intime autour de questions philosophiques – “qui suis-je ?”, “où vais-je ?”, “es-tu bien moi ?”, “que fait-on avec la force qu’on a ?” – qui, parfois, mènent à soi.
D’une langue farfelue, servie par une comédienne délicate, Caroline Husson, dans une forme plus proche du conte, où le décor et les animaux, Vache Complaisante, Lézard Paresseux ou Pingouin Pénultième, se créent sous nos yeux,L’ours qui n’était pas là respire l’intelligence mais manque de chair et de miel, tant il est difficile de se glisser avec l’artiste dans la peau de l’animal.
Exercice difficile, il est vrai. Tout comme l’art, si fragile.
Plasticine et revers d’enfance
Il suffit d’un rien, d’un souffle, d’un grain de sable pour basculer de l’autre côté. Malléable comme la Plasticine des Zygomars, le théâtre reste un art vivant capable de transformer une idée, une envie, une succession de tableaux en un spectacle qui vous porte ou vous abandonne. Il est malgré tout des matériaux plus fiables que d’autres. Comme le choix d’un metteur en scène, Pierre Richards en l’occurrence, ou de comédiens, lumineux Samuel Laurant, Nathalie Mellinger et Naïma Ostrowski, pour que la magie de la valse opère dès le premier tableau et l’arrivée des coquelicots.
Trois adultes attendent à la sortie de l’école, frontière aléatoire entre deux mondes. Les souvenirs affleurent en cet espace-temps indéfini, avec le retour des premières amours, quand il était si difficile de se faire remarquer par la vedette de l’école, et quand les vexations s’enfilaient au rythme des marshmallows. L’enfance, c’est aussi la perte des illusions, la découverte inattendue des disputes parentales, l’heure où pâlissent les couleurs d’une pâte qu’on croyait pouvoir modeler à sa guise. Voilà ce que nous raconte avec joie, générosité et nostalgie cette nouvelle création des Zygomars, fraîche comme une menthe à l’eau.
Congrès de chats
Muel, né transparent, comme le sont, paradoxalement, les gens de couleur, invisibles dans les médias et fictions, ne sait comment attirer l’attention de sa maman débordée, entre le travail, le frigo à remplir, le lave-vaisselle à vider, la télé à regarder… Pour mieux le voir, sa maman lui met des moustaches. Mais un enfant avec des moustaches, ce n’est plus un enfant transparent. “C’est un chat. Un chat de Charleroi”, s’amuse Florence A.L. Klein qui, derrière les sourires et jeux de mots, aborde la question de la migration et la difficulté d’être ignoré.
Joli coup de griffe grâce à cet Étrange intérieur de l’ASBL Infusion, ludique et poétique, susceptible d’emporter dès l’entrée en scène des comédiens, l’irrésistible Aminata Abdoulaye Hama et le tout aussi séduisant Gordon Wilson, tout en physicalité également, maître de l’absurde. Guidés par le chorégraphe brésilien Milton Paulo Nascimento, les artistes complices laissent au corps le verbe qui lui revient pour habiter l’espace et raconter, à travers le texte intelligent, drôle et profond de Florence A. L. Klein, également à la mise en scène, cette chatoyante histoire de chat, d’acceptation, de rencontre et de congrès mondial de chats pour caresser enfin la paix dans le sens du poil.
Trop is te veel, en deux langues sur scène
Ambiance burnout, dès le premier jour des Rencontres, avec Trop is te veel, qui en dit beaucoup sur l’overdose d’envies, de possibilités, de possessions, et en l’occurrence, de spectacles à portée de main. Cahier de dessins et de collages à l’appui, Vincent raconte la vie de la circassienne Annelise, avant de s’enfermer dans sa tour de jeux de société et collection de listes dont il est le champion. Toujours busy busy, il n’a ni le temps de jouer, ni celui d’accueillir des visiteurs inattendus. Kaléidoscope d’images et de (bons) sentiments, Trop is te veel joue sur l’émotion et le visuel pour raconter, en français, et de temps à autre en néerlandais, notre trop-plein. Le ratio des langues s’inverse lorsque cette coproduction entre la compagnie francophone Les pieds dans le vent et la gantoise Kopergietery se joue en Flandre.
Attaché au plus grand théâtre jeunes publics néerlandophone, qui, avec ses cinq productions annuelles, voit défiler 35 000 spectateurs par an, c’est le metteur en scène Johann De Smet qui a contacté la compagnie Les pieds dans le vent.
Pourquoi avoir voulu jouer avec une compagnie francophone ?
Parce qu’un jour, alors que nous étions plusieurs compagnies flamandes, nous avons réalisé que nous avions joué dans plus de 35 pays, mais qu’aucun de nous n’avait jamais été en Wallonie. Pourquoi ne pas rencontrer celui qui est le plus proche de nous, la famille de notre cœur, ceux qui aiment les enfants, l’art pour les enfants ? Il y a dans la compagnie Les pieds dans le vent quelque chose de théâtral qui me touche. Voilà pourquoi je les ai contactés.
Quelle différence entre votre manière de travailler et la leur ?
Nous, on commence avec l’authenticité. On n’a pas de structure narrative. On est plus proches de l’art graphique, plus dans l’imaginaire, comme on peut le voir chez Platel, Jan Fabre, Miet Waarlop. Comme Molière et Goethe ne pèsent pas sur nos épaules, on peut privilégier l’authenticité. On a beaucoup travaillé sur l’improvisation, la générosité.
Trop is te veel... Et pourtant, vous n'hésitez pas à charger le décor...
On ne voulait pas avoir peur de montrer trop de choses. On aurait pu choisir l’épure, mais j’ai préféré montrer ce trop, justement.
Des rencontres comme celles-ci n'existent pas en Flandre. Quels sont les avantages et incinvénients d'un tel marché du théâtre jeune public?
Ce focus est intéressant. J’ai été touché par la douceur, l’expérience, l’ouverture des artistes, leur grande attention à l’enfance. Pour moi, ces Rencontres, dont l’enjeu est crucial pour les compagnies puisqu’elles déterminent la vie et la mort d’un spectacle, ressemblent à une fête de famille à laquelle on est obligé d’assister. On n’a pas envie d’y aller mais une fois qu’on y est, on est content de retrouver ses cousins.
“Un jour, nous avons réalisé que nous avions joué dans plus de 35 pays mais jamais en Wallonie.”