Jonas Creteur

Ashleigh Barty range ses raquettes :  » On ne peut qu’applaudir son choix de vouloir redevenir « humaine » « 

C’est un véritable tremblement de terre qui a frappé la planète tennis. La Numéro 1 du classement WTA et lauréate du dernier Australian Open Ashleigh Barty prend sa retraite à seulement 25 ans. Une annonce aussi surprenante qu’exceptionnelle. Quel héritage laissera l’Australienne au tennis féminin ? Notre rédacteur Jonas Creteur répond à toutes ces questions.

Cette décision est-elle surprenante ?

« Bien sûr, une telle nouvelle a forcément fait l’effet d’une bombe. Barty venait de remporter ses onze matches cette année et restait sur deux titres en tournoi dont son troisième Grand Chelem, acquis dans son pays. L’Australie attendait ce titre chez les dames depuis 44 ans. Cependant, certains observateurs avaient déjà évoqué cette retraite après l’Open d’Australie. Cette décision ne tombe donc pas totalement du ciel, même si elle aura forcément surpris beaucoup de monde. »

« Il faut aussi se souvenir qu’en 2014, alors qu’elle n’était âgée que de 17 ans, Barty avait déjà pris une première pause après son titre en juniors à Wimbledon. A l’époque, elle avait expliqué que les longs voyages et la pression mentale sur le circuit WTA étaient difficiles à supporter. Elle s’était donc ressourcée dans le cricket, au niveau professionnel, en jouant dans la Big Bash League. »

« Barty est revenu sur le circuit en 2016 et a remporté Roland Garros en 2019. La pandémie a ensuite mis le monde et le circuit à l’arrêt pendant une bonne partie de 2020 alors qu’elle était numéro 1 mondial. Elle n’a pas pu jouer de matches lors de cette saison et a très mal vécu cette période pandémique lors de laquelle elle a dû rester au Australie car les restrictions sévères qui étaient d’application dans le pays rendaient les voyages particulièrement compliquées en cas de retour au pays. »

« Paradoxalement, les athlètes australien(ne)s n’aiment pas trop rester éloigné(e)s de chez eux pendant des mois comme c’est souvent le cas en tennis. C’est aussi difficile pour une Barty, très attachée à sa famille, à ses racines aborigènes. »

« Dans son interview d’adieu, elle a évoqué son épuisement et son incapacité à poursuivre physiquement et mentalement une vie de joueuse de haut niveau. C’est révélateur. Surtout qu’elle a réalisé tous ses rêves puisqu’elle s’était aussi adjugé Wimbledon la saison passée. Déjà à l’époque, la possibilité de ranger ses raquettes lui avait traversé la tête. Elle avait su se remobiliser en vue de l’Australian Open. Quand elle a remporté ce dernier, sans doute s’est-elle rendue compte que la boucle était bouclée. »

« Il est temps de redevenir Ashleigh Barty et de poursuivre d’autres rêves, a-t-elle écrit sur son post Instagram d’adieu. C’est peut-être la conclusion la plus importante de son annonce. L’Australienne avait pris l’habitude de lier son bien-être mental à ses résultats sportifs. L’an dernier, elle s’est enlevée cette idée de la tête et est parvenue à être aussi heureuse sans gagner. Ce nouvel état d’esprit l’a sans doute aidé à remporter ses derniers succès, mais aussi de relativiser et de prendre du recul au moment de quitter la scène pour de bon. »

« Nous devrions applaudir cette décision. Surtout quand une athlète prend cette décision en toute connaissance de cause, malgré un statut de numéro 1 et malgré la perte qu’elle représentera pour son sport. C’est aussi une leçon pour de nombreux autres athlètes, qui s’accrochent trop frénétiquement à poursuivre leur carrière coûte que coûte. Ils luttent souvent contre la dépression, comme c’est par exemple le cas de Naomi Osaka. Barty a choisi son bonheur, en tant qu’être humain, et cela ne mérite que le respect ».

A quel point est-il exceptionnel qu’une numéro 1 mondial fasse ses adieux au tennis à un si jeune âge ?

« Ashleigh Barty n’est que la deuxième des 27 anciennes numéro 1 à ranger ses raquettes au sommet de son art. Le seul précédent, on s’en souvient, était Justine Henin, qui avait annoncé sa retraite en 2008, juste avant son 26e anniversaire et à quelques semaines d’un Roland-Garros dont elle avait remporté les trois dernières éditions. La Rochefortoise avait évoqué des problèmes de motivation après trois années où elle avait dominé le circuit dans son costume de numéro 1 du classement WTA. L’année précédent sa retraite, Henin s’était imposée à Roland Garros et à l’US Open. La différence avec Barty, c’est que notre compatriote restait sur une lourde défaite à l’Australian Open contre Maria Sharapova. L’Australienne s’est retirée sur un trophée, qui plus est dans son jardin. Henin et Barty ne sont pas les seuls exemples de joueuses de tennis à quitter les courts à un jeune âge. L’autre grande joueuse belge, Kim Clijsters, a pris sa première retraite tennistique en 2007, à seulement 23 ans. Elle fera son retour quelques années plus tard et remportera l’US Open. Henin aussi reviendra sur le circuit, mais avec moins de succès. La Suissesse Martina Hingis avait rangé sa raquette à l’âge de 22 ans, en 2002, alors qu’elle occupait la dixième place du classement mondial. Elle a également fait son retour en 2006, avec des succès principalement sur le circuit du double. Ashleigh Barty fera-t-elle de même ? Il ne faut rien exclure, mais ce scénario semble plus improbable. »

Quel héritage va-t-elle laisser au tennis ?

« Le tweet de la star américaine du tennis Madison Keys résume bien la situation. Une joueuse de tennis incroyable mais surtout une des personnes les plus gentilles du circuit. »

« En tant que joueuse, Barty était en effet « incroyable ». Elle était réputée pour son énorme combativité, son revers slicé, son service puissant et son jeu complet. Ce n’est pas pour rien que sa victoire à l’Open d’Australie a fait d’elle la seule joueuse en activité, à l’exception de Serena Williams, à remporter des Grand Chelem sur trois surfaces différentes. Il y a eu la terre battue avec Roland-Garros en 2019, le gazon avec Wimbledon en 2021 et enfin la surface dure sur cet Australian Open. Il ne faut pas aussi oublier ni sa finale des Masters en 2019 ni ses 119 semaines passées dans le costume de reine du classement WTA. Seules Steffi Graf (377), Martina Navratilova (332), Serena Williams (319), Chris Evert (260), Martina Hingis (209) et Monica Seles (178) font mieux, même s’il faut aussi rappeler que ce chiffre a été « dopé » par le gel des classements pendant la pandémie de coronavirus. »

« Ash Barty, qui a gagné 23,98 millions de dollars de prize money au cours de sa carrière, se souviendra surtout pendant longtemps de sa victoire écrasante (sans perdre un set) à Melbourne. Elle était devenue la première Australienne à soulever la coupe depuis 44 ans. Et c’est celle à laquelle elle a succédé, Evonne Goolagong Cawley (également aborigène), qui lui a remis le trophée. »

« Une finale remplie d’émotion qui a battu des records de téléspectateurs dans l’île puisque 4,2 millions d’Australiens, soit 17 % de la population), étaient devant leur télévision pour ce match. Devenue une icône Down Under, elle a inspiré la jeunesse locale puisque 30% d’enfants australiens supplémentaires ont commencé à jouer au tennis. Beaucoup de ceux-ci sont d’ailleurs d’origine aborigène. »

« Le plus grand héritage que laissera Ashleigh Barty est peut-être sur le plan humain, celui d’une fille ordinaire, dépourvue d’allures de star. Plutôt que de se mêler à la jet set australienne, elle joue au golf (un sport moins bourgeois que chez nous , elle est d’ailleurs mariée au golfeur australien Garry Kissick), pêche ou un regarde un match de son club préféré, le Richmond Football Club. »

« Comme Kim Clijsters à l’époque, elle était très aimée par ses amis et ses adversaires. C’est ce qui ressort d’ailleurs du tweet de Madison Keys, mais aussi de nombreuses autres joueuses de haut niveau. Elles ont toutes souligné à quel point Barty était spécial, en tant que personne et collègue. Un exemple pour beaucoup. La preuve qu’un(e) athlète de haut niveau peut aussi être une belle personne. »

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