Les Etats-Unis, premiers producteurs de gaz et de pétrole, sont-ils crédibles dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Joe Biden, président des Etats-Unis, lors d'un sommet virtuel sur le changement climatique, le 22 avril 2021, à Washington, DC.

© BRENDAN SMIALOWSKI - AFP

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Par Ghizlane Kounda

Sur le plan diplomatique, le sommet climatique organisé par Joe Biden les 22 et 23 avril, est déjà une réussite. America is back ! Les efforts de l'émissaire américain sur le climat, John Kerry, ont payé. L’équipe Biden a réussi à briser la glace autour du réchauffement climatique, en réunissant autour d’une table virtuelle, les présidents Chinois, Xi Jinping et Russe, Vladimir Poutine. Même le Brésil de Jair Bolsonaro promet d’enfin protéger l’Amazonie… Joe Biden attend de ses invités des engagements forts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Lui-même a présenté un programme jugé ‘ambitieux’. Il veut engager son pays à réduire de 50 à 52% les émissions de gaz à effet de serre, d'ici 2030 par rapport à 2005. De quoi rompre avec l’ère Trump. Mais quelle crédibilité peut-on accorder aux promesses annoncées ?

L’enjeu est de taille. Selon le dernier rapport annuel de l'Organisation météorologique mondiale, l'année 2020 a été, avec 2016 et 2019, la plus chaude de l'histoire moderne. Notre planète ne parvient plus à absorber la quantité de gaz à effet de serre relâchée dans l’atmosphère. La pandémie du Coronavirus n’y a rien fait, ce ne sont pas quelques mois de ralentissement dans les émissions qui vont changer la tendance à long terme. Il faut donc agir vite et bien, pour stopper cette machine en surchauffe.

Joe Biden adhère pleinement à l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, conformément à l’accord de Paris sur le Climat. On ne doute pas de sa bonne volonté, ni de ses intentions de reprendre le leadership sur la scène internationale. Le problème, c’est qu’il est à la tête d’un pays, classé deuxième plus grand pollueur au monde, après la Chine. Et que ce pays, ‘béni des dieux’, est le premier producteur de gaz et de pétrole. Avec cette manne, comment baisser les émissions carbones ? Comment mettre en œuvre une transition écologique ?

Un programme ‘ambitieux’ ?

Pour atteindre les objectifs qu’il a annoncé, et mettre à flot son programme, Joe Biden prévoit d’investir au moins 2000 milliards de dollars en quatre ans, soit un peu plus de 2% du PIB américain, chaque année.

Le jour de son investiture, on s’en souvient, il a restauré par décrets des réglementations environnementales que Donald Trump avait supprimé ou modifié, comme le Clean Power Plan qui vise à limiter les émissions de CO2 des centrales thermiques ou encore les normes d’efficacité énergétiques des nouveaux véhicules.

A côté de cela, il veut investir dans des infrastructures propres et non carbonées : comme l’isolation d’un million et demi d'habitations et de logements sociaux. Il prévoit une refonte de l’industrie des transports, en favorisant la fabrication de véhicules hybrides et électriques, avec l’installation de 500 000 bornes de recharge, d’ici 2030, et aussi, des incitations financières pour changer de véhicule. Il propose aussi une production d'électricité sans pollution carbone, d'ici 2035. Et donc, favoriser les énergies renouvelables et aussi le nucléaire. Ces mesures seront complétées par la technologie, notamment des systèmes de captage de CO2 ‘plus performants’. Ce plan d'énergie propre devrait " créer 10 millions d'emplois ". 250.000, dans l’immédiat, pour fermer des puits de pétrole et de gaz.

"Même si ce programme n’est pas parfait, le plan que propose Joe Biden pour lutter le changement climatique, est le plus ambitieux que celui de n’importe quel autre président dans l’histoire des Etats-Unis", réagit Ryan Schleeter, responsable communication à Greenpeace, San Francisco. "Mais nous attendons plus de lui, notamment la manière dont il va sortir le pays des extractions des énergies fossiles. On attend une phrase comme ‘Nous pouvons arrêter ces extractions maintenant, car nous avons suffisamment de pétrole et de gaz, des ressources qui ne manquerons pas pendant de nombreuses années’".

"C’est un programme ambitieux, mais je dirais que l’ambition de l’accord de Paris est très grande !", relativise Francis Perrin, spécialiste des énergies à l’IRIS, l’institut des relations internationales et stratégiques. " Arriver à la neutralité carbone dans la moitié du siècle, on en est très loin. Nous parlons d’un changement profond, dans un monde dominé par trois énergies fossiles, par ordre décroissant au niveau mondial : pétrole numéro 1, charbon numéro 2, gaz naturel numéro 3, qui représentaient en 2019, 80 à 85% de toute l’énergie consommée dans le monde. De plus, dans quatre ans, Joe Biden aura 82 ans, nul ne sait qui le remplacera".

Les démocrates plus radicaux, tels qu’Alexandria Ocasio Cortez, membre du Congrès, estiment que ce plan ne va pas assez loin. Eux, misaient plutôt sur le Green New Deal. Un plan qui vise non seulement à lutter de manière drastique contre le changement climatique, mais qui englobe aussi de nombreuses questions liées à la justice sociale et environnementale, notamment réduire les inégalités qui affectent les communautés victimes de la pollution.

Francis Perrin, spécialiste des énergies à l’IRIS, l’institut des relations internationales et stratégiques.
Francis Perrin, spécialiste des énergies à l’IRIS, l’institut des relations internationales et stratégiques. © Tous droits réservés

Un mix énergétique encore loin d’être propre

Les américains sont les premiers consommateurs de pétrole au monde. A côté de cela, le gaz naturel (39,2% au premier semestre 2020), en hausse constante, reste la plus grande source de production d’électricité, devant le nucléaire (20,6%). Viennent ensuite les énergies renouvelables (17%) et le charbon (16,9%). La consommation du charbon ayant diminué de moitié en dix ans.

"En dépit de ses promesses, Donald Trump n’a pas réussi empêcher la poursuite du déclin du charbon", explique Francis Perrin. "Parce que sur le marché énergétique, il y a une concurrence entre différentes sources d’énergie. Or, le principal adversaire du charbon, c’est le gaz naturel qui est monté en puissance grâce au gaz non conventionnel, dit gaz de schiste".

Les énergies renouvelables aussi, sont en croissance. "Le phénomène majeur de ces dernières années", explique Jean-François Boittin, spécialiste de la politique américaine, "c’est la chute spectaculaire du prix de l’énergie produite par l’éolien et le solaire".

Une montée en puissance des énergies renouvelables

"Les Etats-Unis sont très en pointe pour les énergies renouvelables", observe Francis Perrin. "Ils sont les deuxièmes au niveau mondial après la Chine. Il y a une montée en puissance des énergies renouvelables, notamment solaire, éolien et biomasses, dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis. Y compris sous l’administration Trump…Des industriels américains, des municipalités, des états favorisent les énergies renouvelables".

De fait, le Texas - pourtant un état pétrolier - est aujourd’hui le premier producteur d’électricité issu des éoliennes, dans le pays. S’il était classé comme un pays, il serait classé cinquième producteur au monde. "Le Texas a fermé un certain nombre de centrales à charbon", explique Jean François Boittin. "En 2019, il représentait à lui seul, le tiers de la baisse d’utilisation de charbon qui a été utilisé cette année-là, aux Etats-Unis".

"C’est le pragmatisme américain", analyse Francis Perrin. "Au Texas, on se dit que s’il y a du vent, si c’est rentable, alors l’éolien peut marcher... Cela ne signifie pas que le Texas abandonne le pétrole et le gaz naturel. C’est un mix énergétique pragmatique élaboré sur base de considérations technico-économiques".

La tendance est la même pour l’énergie solaire. Selon l’Agence internationale de l’électricité, les installations de grandes centrales solaires pourraient atteindre un niveau record aux États-Unis, cette année. Mais si les énergies renouvelables ont doublé en dix ans, leur production ne compte encore que pour un cinquième du mix électrique des Etats-Unis.

Cependant, les émissions aux Etats-Unis sont-elles en baisse ? Oui, selon l’Agence internationale de l’énergie. Depuis 2005, les Etats-Unis ont diminué leurs émissions de CO2 de 12 %. "On observe effectivement une baisse significative des émissions de CO2 aux Etats-Unis", analyse, Francis Perrin. "Lorsque les sociétés électriques substituent le gaz naturel au charbon, cela se traduit par une baisse des émissions de CO2. Les Etats-Unis ne sont pas forcément dans une mauvaise direction. Mais l’ampleur de cette baisse n’est évidemment pas suffisante par rapport à l’accord de Paris. Il faut évidemment aller beaucoup plus loin, c’est l’un des principaux objectifs de Joe Biden".

e Texas, pourtant un état pétrolier, est aujourd’hui le premier producteur d’électricité issu des éoliennes, dans le pays.
e Texas, pourtant un état pétrolier, est aujourd’hui le premier producteur d’électricité issu des éoliennes, dans le pays. © Tous droits réservés

Les tendances sont là, mais comment aller plus loin ?

Pour favoriser la transition verte, sur les 2 000 milliards de dollars que Joe Biden compte investir, près de 500 seraient consacrés à l’énergie verte. Outre le vent et le solaire, Joe Biden souhaite développer le nucléaire, la biomasse et l’énergie hydraulique. Des sources énergétiques qui n’émettent pas ou peu de gaz à effet de serre, mais qui peuvent avoir d’autres impacts environnementaux. Les barrages hydrauliques, par exemple, sont critiqués car ils détruisent l’habitat des espèces aquatiques.

Quid alors, des combustibles fossiles ? Pendant la campagne présidentielle, Joe Biden a assumé vouloir se détourner - à terme - de l'industrie pétrolière. "Je veux une transition pour l'industrie pétrolière. J'arrêterai parce que l'industrie pétrolière pollue considérablement", avait-il déclaré lors d’un débat télévisé, face à Donald Trump. Cela ne signifie pas qu’il interdit la production de charbon ou de pétrole, mais qu’il va mettre en œuvre des incitations financières pour orienter les producteurs vers des énergies plus vertes.

Joe Biden dit voir dans le gaz naturel un "pont" vers les énergies renouvelables. Pas question non plus, de mettre un terme aux fracturations hydrauliques pour extraire le gaz naturel et le pétrole, et cela, malgré les dégâts environnementaux que cette technique engendre. L’enjeu économique est de taille : des dizaines de milliers d’emplois en dépendent. En revanche, promet-il, aucun nouveau permis d’extraction ne sera attribué sur les terres fédérales. "Je vis au Texas dans un endroit au Texas où la qualité de l’air est la plus mauvaise et cela en raison de la fracturation hydraulique", déplore Priscilla Yeverino, membre du mouvement Sunrise. "Quand Biden dit qu’il ne veut pas interdire la fracturation, c’est inacceptable parce que ça ruine la qualité de l’air".

L'envoyé américain pour le climat, John Kerry, le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le président américain Joe Biden écoutent le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres s'exprimer à l'écran lors d'un sommet virtuel sur le changem
L'envoyé américain pour le climat, John Kerry, le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le président américain Joe Biden écoutent le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres s'exprimer à l'écran lors d'un sommet virtuel sur le changem © BRENDAN SMIALOWSKI - AFP

Les Etats-Unis pourront-il sortir de leur dépendance aux énergies fossiles ?

"Joe Biden ne va pas se passer des combustibles fossiles, parce qu’il ne peut pas s’en passer", analyse Francis Perrin, spécialiste des énergies à l’IRIS. "Les énergies fossiles sont essentielles aujourd’hui pour les Etats-Unis, et elles resteront essentielles pendant encore pas mal de temps. Par ailleurs, Joe Biden a dit que le charbon posait certes des problèmes de pollution, mais qu’il ne fallait pas laisser tomber les mineurs de charbon, plutôt les accompagner dans la transition".

Selon Jean-François Boittin, spécialiste de la politique économique américaine, les Etats-Unis pourront se passer des énergies fossiles, mais à long terme. "Un horizon de trente ans, c’est parfaitement possibleC’est même peut-être plus facile aux Etats-Unis qu’en Europe, parce qu’il y a un environnement qui facilite le recours, par exemple, à l’éolien. Au Texas, on peut mettre autant d’éolienne qu’on veut, ça ne gênera personne. Dans l’Iowa et même tout le mid-ouest, les possibilités d’installations sont illimitées".

"Mais encore une fois", ajoute Jean-François Boittin, "même si du point de vue du climat, la production de gaz naturel n’est pas une panacée, en raison des émissions carbone - qui peuvent cependant être réglementées - c’est un peu la solution idéale pour une transition…".

Les Etats-Unis vont donc continuer à émettre beaucoup d’émissions carbones, pendant la durée de cette transition annoncée. La nature ne pourra pas tout absorber. Le nouveau gouvernement compte alors sur la technologie pour capturer une partie de ces émissions…

Comment Joe Biden compte-t-il financer son programme ?

C’est l’un des reproches qui lui est fait : rien n’indique dans son plan, comment il compte trouver les 2000 milliards de dollars qu’il promet d’investir dans la transition verte. Dans son entourage, on évoque une augmentation du taux d'imposition des sociétés. Les Américains les plus fortunés pourraient également être mis à contribution. Nombreux sont ceux qui craignent une augmentation des taxes. D'autres pensent qu'un tel plan n’est tout simplement, pas réaliste et qu’il ne passera pas au Congrès.

En attendant, ce plan d'investissement, se heurte à l'opposition des républicains, au Congrès. "L’argument économique est un mauvais argument", note Ryan Schleeter, responsable communication à Greenpeace, San Francisco. "Parce que les effets du changement climatique ont un coût bien plus grand, que si l’on ne fait rien. L’impact économique des catastrophes, des phénomènes météorologiques extrêmes, coûtent déjà des millions de dollars, en plus de tuer des gens à cause de la pollution".

Joe Biden lui-même a vanté au premier du sommet, les bénéfices économiques "extraordinaires" liés à la lutte contre le réchauffement et mis en garde contre "le coût de l'inaction".

De fait, selon une récente étude menée par l’université de Stanford, les coûts de la pollution aux Etats-Unis ont fortement diminué depuis 2008. Mais ils représentent encore près de 4% du PIB annuel. Des frais médicaux liées aux maladies causées par les particules fines, ou encore des coûts pour réparer des dégâts environnementaux.

Il n’est pas certain que Joe Biden fasse le plein des voix démocrates dans les deux chambres

L’avantage pour l’administration Biden, c’est que les démocrates contrôlent la Chambre des représentants, en plus de la Maison Blanche. Le Sénat est partagé à égalité entre démocrates et républicains, mais avec la voix de la vice-présidente, Kamala Harris, il bascule dans le camp démocrate. Autant dire, une majorité très étroite.

"Il n’est pas certain que Joe Biden fasse le plein des voix démocrates dans les deux chambres du Congrès", analyse Francis Perrin. "En particulier pour des sujets sensibles, liés aux hydrocarbures, pétrole et gaz naturel. Lorsqu’on représente un état producteur de pétrole ou de gaz naturel, on a beau être démocrate, cela ne signifie pas qu’on s’oppose aux énergies fossiles. Donc l’aspect épigraphique est également très important dans les choix des membres du Congrès".

Pour Dallas Burtraw, économiste à l’Institut Ressources pour le Futur, à Washington, spécialiste des politiques environnementales, le rôle des états est fondamental, ainsi que leur coopération avec le niveau fédéral. "Ce qui se passe au niveau des états est très important aux Etats-Unis", explique-t-il. "Les actions à leurs niveaux ont eu le plus d’effet durable, ces vingt dernières années. Et à l’avenir, je pense que les états fédérés joueront un rôle moteur dans l’innovation. Les interactions entre les Agences fédérales et les états qui tentent de faire des choses, seront la clé. Aux Etats-Unis, nous appelons cela le fédéralisme coopératif".

La réussite de Joe Biden dépendra de deux facteurs, au moins : sa capacité à faire passer des lois au Congrès. Et sa capacité à mettre en œuvre une bonne gouvernance élaborée en consultation avec les Etats fédérés, et cela compte tenu de leurs ressources naturelles et de leur situation géographique.

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