Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée

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Par Sophie Mergen

C’est en périphérie montoise, tapie dans l’ombre des arbres, en bord de route, que se dresse sa tente. Derrière les feuillages, Aurélie vit ici cachée depuis déjà un an. "Ce n’est pas un lieu de vie" lâche-t-elle. "C’est une déchetterie".

Le décor est planté. Pas d’eau, pas de toilette, pas de vêtements propres. "Quand on est une femme, je vous laisse imaginer". Ce n’est pas une vie, c’est de la survie.

Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée
Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

Aurélie n’aurait jamais cru se retrouver dans une telle situation.

Si vous m’aviez dit il y a cinq ans que je serais dans un état pareil, je vous aurais ri au nez. Je suis devenue ce que je fuyais.

Elle n’a pourtant pas été épargnée par la vie. Née dans une famille ouvrière, elle connaît le confort d’un radiateur et d’une télévision. Mais ses parents sont alcooliques. A vingt ans, son père se suicide. Elle subit ensuite les coups de son ex-mari, qui met lui aussi fin à ses jours quelques années plus tard. "Ce sont des deuils et des peines successifs. Ça s’enchaîne, ça n’en finit pas".

"On se suicide ou on s’évade"

Aurélie sombre alors dans la drogue. "On se suicide ou on s’évade. J’ai fait le choix de m’évader. Mais je ne pensais pas que j’allais tomber dans une telle dépendance".

En plongeant dans la drogue, je n’imaginais pas ce qui m’attendait.

Ses enfants de 12, 18 et 19 ans sont alors placés. Au début du confinement, au printemps 2020, elle est expulsée de son logement et se retrouve à la rue avec son compagnon.

Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée
Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

Une grossesse qui bouleverse tout

"Je perdais espoir" nous livre-t-elle. "J’ai pensé à la solution de facilité. En finir". Mais il y a quelques mois, Aurélie sent qu’un être est en train de prendre vie dans son ventre. "Je n’y croyais pas. Je pensais que je ne pouvais plus être enceinte, à cause d’un problème diagnostiqué dans mon utérus".

C’est pour lui que je me bats

Cette grossesse inattendue vient tout bouleverser. "C’est comme un miracle. Ça me donne la force que j’avais perdue. A présent, c’est lui avant tout".

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Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

"Je m’en veux ! Je m’en veux d’être dans la dépendance"

Aurélie le sait. Si elle veut pouvoir garder son bébé, elle doit se défaire de son addiction.

Rien que de penser qu’il pourrait lui arriver quelque chose, j’en pleure la nuit.

"Je sais qu’il devra être sevré à la naissance. C’est ça qui me fait le plus mal. Je m’en veux… Je m’en veux" confie-t-elle le regard vide.

Depuis qu’elle a appris qu’elle était enceinte, Aurélie tente de sortir de cette dépendance. Tous les jours, Mohamed Aftouh l’accompagne bénévolement à la pharmacie, prendre sa méthadone.

Mohamed, c’est en quelque sorte son ange gardien.

Aurélie est comme ma petite sœur. On a tissé un lien presque familial. Je veux qu’elle s’en sorte.

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Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

L’aide précieuse des Anges de Mons

Mohamed Aftouh est lui-même passé par la case SDF à son arrivée en Belgique, au début des années 2000. "Heureusement, je suis tombé sur les bonnes personnes, qui m’ont aidé à avancer et à trouver du travail. Je ne l’oublie pas"

Je suis la preuve vivante qu’on peut s’en sortir si on donne des moyens et de l’aide.

Aujourd’hui, Mohamed vient lui-même en aide à Aurélie et à d’autres personnes sans-abri, à travers l’association qu’il a fondée. "L’association s’appelle Les Anges de Mons, en référence à la légende selon laquelle des anges ont sauvé la ville de Mons des Allemands. Nous, on est dans une autre forme de guerre. Une guerre contre la pauvreté".

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Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

Le casse-tête du logement

Mais Aurélie et Mohamed le savent : la clé pour sortir de l’impasse est de retrouver un logement. "Le cas est très urgent. Il n’y a pas plus urgent que ça. Je suis en colère car cela fait déjà un mois qu’on a interpellé le CPAS, mais le dossier n’avance pas. Les e-mails se perdent. Avec le confinement, on ne peut pas aller sur place, il faut prendre des rendez-vous. Tout prend beaucoup trop de temps" déplore Mohamed Aftouh.

Je ne comprends pas qu’on laisse une femme enceinte dehors, c’est inadmissible

Mais du côté du CPAS, on nous explique que la situation est loin d’être simple. Une place en foyer a été proposée à plusieurs reprises à Aurélie. "Mais on me propose des foyers réservés aux femmes" déplore-t-elle. "Je ne veux pas laisser mon compagnon à la rue, ou être envoyée dans une autre ville ou je n’aurai plus le soutien des associations montoises".

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Aurélie, enceinte et à la rue : plongée dans les méandres d'une vie ébranlée © Tous droits réservés

Une voie sans issue ?

Pour le CPAS de Mons, c’est là que cela coince. "Parfois, on se sent impuissant parce que les propositions qu’on fait ne correspondent pas à leur demande. Or dans certains cas, le logement n’est pas toute suite la solution la plus adaptée, car il y a un passif. Il faut d’abord passer par une étape intermédiaire, un foyer où il y a un cadre, des règles. Mais certains veulent passer ces étapes. On est alors démunis" explique Alain Beghin, responsable du service d’aide générale au CPAS de Mons.

Les foyers communautaires sont rarement mixtes. Cela freine certains SDF.

Le CPAS laisse-t-il alors ces personnes à la rue ? "On ne les laisse pas à la rue. Elles font le choix de rester à la rue, c’est différent" répond Alain Beghin.

Même si la situation ressemble à une impasse, Aurélie garde l’espoir qu’une solution soit trouvée. "Ce qui me fait le plus peur, c’est qu’on me prenne mon bébé parce que je n’ai toujours pas de logement. Je n’en dors pas."

Dans ces conditions, quel futur pour l’enfant ? Quel futur pour la maman ? Les questions restent pour l’heure sans réponse.

La perspective de l’accouchement, quant à elle, approche inlassablement.

 

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