lnterdiction des visites à l’hôpital : entre solitude et incompréhension

Patient sitting on hospital bed waiting

© Portra ehf

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Par Daphné Van Ossel

Lina de Ronchi, 71 ans, vient de rentrer chez elle après huit semaines d’hospitalisation. Pendant son séjour à l’hôpital, elle n’a pu recevoir la visite de son fils que quatre fois.

Je me suis fait renverser par une voiture, précise-t-elle, j’avais une double fracture au bassin, je ne pouvais plus bouger, même pas lever la tête. J’étais couchée toute la journée, les yeux au plafond.”

Au début, les visites étaient permises uniquement le week-end, puis elles ont été totalement interdites.

C’est inhumain. Je ne pouvais pas bouger un orteil et je ne pouvais même pas avoir le soutien de ma famille.

Quand elle l’a appris, ça a été un coup de massue : “J’ai pleuré, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, et d’ailleurs l’émotion revient en vous en parlant. C’est inhumain. Je ne pouvais pas bouger un orteil, même pas lire et je ne pouvais même pas avoir le soutien de ma famille.

Delphine a perdu son papa, elle est en colère

Delphine V., 41 ans, a perdu son papa le 23 mars dernier. Elle est en colère. Il souffrait d’un cancer, a connu des complications, et est entré à l’hôpital le vendredi 19 mars. Les visites n’étaient permises que le week-end et après cinq jours d’hospitalisation, elle devait donc attendre le week-end suivant pour voir son père.

Je me sentais impuissante.

Le samedi, j’ai appelé le service, je me sentais impuissante, raconte-t-elle. J’ai pu parler avec une infirmière mais pas avec le médecin. J’ai eu mon père au téléphone, j’entendais qu’il allait de moins en moins bien. Le dimanche, il ne disait que quelques mots. Le mardi matin, on nous a appelés pour dire qu’il avait fait un choc septique. A ce moment-là, on a enfin pu y aller. Et il est mort quelques heures plus tard, le mardi soir.

Notre dernière conversation date du lundi soir. Il m’a dit que ça n’allait pas du tout. J’ai appelé le service pour demander qu’ils aillent le voir. C’est inhumain de devoir demander par téléphone qu’ils aillent voir dans sa chambre.

Ça a été un grand moment de solitude et d’incompréhension

Ça a été un grand moment de solitude et d’incompréhension, on entendait mon père dire qu’il souffrait et je ne pouvais rien faire. Je ne sais pas comment je vais m’en remettre.”

Les visites sont souvent interdites

Ce genre de témoignage n’est pas rare. La plupart des hôpitaux restreignent considérablement les visites. Elles sont souvent complètement interdites, sauf pour les parents en pédiatrie, les coparents à la maternité, les proches de patients en fin de vie et parfois en soins intensifs. Certains hôpitaux permettent une visite par semaine en cas d’hospitalisation de plus de cinq ou sept jours, parfois sur rendez-vous. Au cours de notre coup de sonde, nous n’avons trouvé qu’un hôpital qui autorise une visite quotidienne.

Les visiteurs, c’est une voie d’entrée du virus qu’on ne peut pas contrôler.

Baudouin Byl, médecin hygiéniste à l’Hôpital Erasme, tient à rappeler pourquoi ces règles sont en vigueur.  “Les visiteurs c’est une voie d’entrée du virus qu’on ne peut pas contrôler, détaille-t-il. On a une stratégie qui vise à contrôler le mieux possible l’introduction du virus par les patients (ils sont testés, parfois isolés), et par le personnel (il doit suivre des règles d’hygiène assez contraignantes). Mais pour les visites, c’est compliqué : on ne peut pas dépister les visiteurs, ni mettre un agent de police dans chaque chambre pour vérifier s’ils portent le masque et respectent les distances.

Des cas de transmission du virus par des visiteurs

L’hygiéniste insiste : “On a pu clairement mettre en évidence des situations où un visiteur a transmis le virus à son proche à l’hôpital, ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité !” Christophe Meert, infirmier-chef de service au CHU de Charleroi, confirme : “On a eu des cas de transmissions du Covid par des visiteurs, c’est documenté. Un époux a par exemple infecté sa femme.

Le but est donc de protéger la santé des patients, même si cela peut induire une grande solitude et une détresse psychologique plus ou moins importante selon les cas. Les hôpitaux en sont conscients, ils assument cette balance risques/bénéfices, même si c’est difficile.

Des barrages filtrants et l’agressivité qui monte

Dans les halls d’entrée, tous ont dû mettre en place des sortes de barrages filtrants, gérés à la fois par le personnel d’accueil et des vigiles. “On a mis en place un tri pour filtrer au maximum mais on n’est pas l’armée non plus, précise Helena Lizza, gestionnaire du risque aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Parfois, il y a des visiteurs qui arrivent à passer. Les soignants doivent alors leur dire qu’ils ne peuvent pas être là. L’agressivité peut monter, cela engendre un grand stress chez le personnel.

Au CHU Tivoli, on fait le même constat : “Il y en a qui disent qu’ils viennent en consultation et on les retrouve à quatre dans une unité de soin, c’est arrivé !

Il y a eu trop de débordements.

Il y a aussi des patients qui sortent pour voir les visiteurs dehors. Au CHU de Charleroi, on a également constaté que les gestes barrières sont de moins en moins respectés. “Entre la deuxième et la troisième vague, on avait autorisé une visite par personne par jour, se remémore le responsable de la communication, Frédéric Dubois, mais il y a eu trop de débordements, c’était trop difficile à surveiller.

Et en fin de vie ?

Et qu’en est-il des situations de fin de vie, comme celle qu’a connue Delphine L., ou d’autres ? Les hôpitaux font tous des exceptions pour ces situations-là. C’est le médecin qui est chargé de prendre la décision de permettre les visites. Au cas par cas. “Lors de la première vague, tout était interdit, et des patients sont partis seuls, se remémore Helena Lizza. On ne voulait plus ça. Donc dans ces cas-là, chez nous, il n’y a pas de limites, on essaie de mettre à disposition un local pour que la famille puisse attendre, ne pas se retrouver tous en même temps dans la chambre.

Lors de la première vague, des patients sont partis seuls, on ne voulait plus ça.

La difficulté évidemment, c’est de savoir à partir de quand autoriser les visites, puisqu’on ne connaît pas à l’avance la date du décès. Il y a des risques que cela soit bien tard, comme dans le cas de Delphine L. (dont le père n’était pas, précisons-le, hospitalisé à Saint-Luc). “Il y a des critères médicaux, cela peut parfois durer plusieurs jours ou semaines. C’est vrai qu’il peut arriver que l’état d’un patient se dégrade plus vite que prévu, mais il est rare qu’on ne voit pas que le patient se détériore.

On permet aussi les visites en soins intensifs, poursuit la gestionnaire du risque : deux visiteurs par jour pendant une heure, parce qu’il faut rester humain.

L’usure de la population

C’est une balance très compliquée à faire, reconnaît de son côté le médecin hygiéniste d’Erasme, Baudouin Byl, où les fins de vie font partie des exceptions mais pas les soins intensifs. On peut imaginer un cas où quelqu’un est hospitalisé, dans une situation complexe, reçoit la visite d’un proche qui lui transmet le virus et il en meurt.

Partout, le message est difficile à faire passer. Dans les hôpitaux, comme ailleurs, l’usure de la population se fait sentir. L’hôpital Erasme vient de rédiger un nouveau document à destination des patients pour réexpliquer le pourquoi de l’interdiction des visites.

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Un hôpital laisse ses portes plus ouvertes

Parmi les hôpitaux que nous avons contactés, un seul a décidé de laisser ses portes (plus) ouvertes. Le Grand Hôpital de Charleroi (GHDC) autorise une visite par patient par jour, sauf dans deux services “fort remplis”. Cela peut être une personne différente par jour. “L’agent de sécurité à l’entrée a une liste des patients, explique Marie Ludwigs du service communication, et, chaque jour, il barre son nom dès qu’il a eu un visiteur.” “On le fait vraiment dans l’intérêt du patient, poursuit-elle, on a vu l’effet positif sur les patients, sur les familles et même sur le personnel.” Et le GHDC assure ne pas avoir connu de cluster depuis.

Les autres hôpitaux ne veulent pas commenter les décisions prises par une autre institution. A Erasme, Baudouin Byl réagit, pourtant : “Un hôpital qui autorise les visites est un hôpital qui a pris l’option de laisser entrer le virus, c’est mathématique, probabilistique. Le tout est de savoir quelles en sont les conséquences.” “Ce qui est vrai, concède-t-il, c’est que les stratégies de prévention des infections contiennent un grand nombre de mesures qui s’additionnent et qu’on ne peut pas toujours vérifier l’impact isolé de chacune d’entre elles. Dire que cette mesure est efficace et que celle-là ne l’est pas, c’est un luxe qu’on n’a pas dans une pandémie ! Le vrai problème, c’est de donner, avec un maximum de bon sens, un maximum de chance aux malades de ne pas s’infecter."

Helena Lizza conclut, de son côté : “On cherche le moindre mal, entre le moral et la lutte contre le virus, on tâtonne. Mais une chose est sûre : l’agressivité commence à monter et, par rapport à ça, il est temps de rouvrir.

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