Accord européen sur le climat : un engagement à degrés variables ?

Champ à la symbolique toute européenne, en Allemagne de l'ouest, drapeau européen et éoliennes dans le centre le la France, en 2020 (images d'illustration)

© AFP/BELGA

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Par Kevin Dero

Il a précipité les négociations pour arriver à un accord au niveau européen. Joe Biden, le président américain, a annoncé sa volonté de la tenue d’un sommet mondial de la Terre – en virtuel —, pour ce jeudi 21 avril. Beaucoup s’y sont ralliés, dont Vladimir Poutine, le président russe, et son homologue chinois Xi Jinping, qui l’a fait savoir tout récemment.

Le Vieux Continent ne veut pas rester en reste, et ses instances ont été un peu secouées ces derniers jours. Parce que pas question de venir les mains vides à ce sommet de la Terre, d’autant que l’Europe compte toujours se montrer en héraut de la lutte contre le changement climatique.


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Drapeau européen, à Bruxelles-Schuman, en 2021

Le calendrier de prise de décision pour couler dans le marbre les mesures auxquelles elle s’était engagée a été précipité (cela devait être fait en juin), et pour faire avancer le fameux Green Deal européen. Objectif de ce dernier: une Europe neutre en carbone en 2050.


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En attendant, les instances européennes sont arrivées à un accord – au bout de 14 heures de discussions – pour l’objectif 2030 de l’Union. "C’est un beau jour pour la population et la planète " a déclaré le commissaire chargé de l’action climatique.

Et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne de s’en réjouir notamment dans un tweet :

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Il a été conclu notamment un engagement pour réduire les gaz à effet de serre "d’au moins 55%" d’ici 2030. Un pourcentage par rapport aux chiffres des émissions de 1990. Une Europe des 27 qui se veut donc ambitieuse, à l'image de la présidente de la Commission, pour arriver au sommet de la Terre.

Objectif... frileux?

Mais est-ce suffisant? Le Parlement européen avait, lui, voté pour une réduction de 60% des émissions. "Le Parlement était évidemment prêt à aller encore plus loin", a ainsi déclaré l’eurodéputé français écolo Pascal Canfin.

Le Parlement était évidemment prêt à aller encore plus loin

Extrait de notre 13h :

Un accord sur le climat signé au niveau européen

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Du côté des ONG, on désirait se montrer plus rigoureux encore, et fixer les objectifs pour 2030 à 65%. "Pour nous, cette loi climat est un écran de fumée, explique Carine Thibaut, porte-parole de Greenpeace Belgique. L'objectif de 55% ne répond pas à l'urgence climatique, pour rester dans l'accord de Paris. Pour atteindre l'objectif de l'augmentation maximale de la température de 1,5° (pour pouvoir vivre dans une 'société durable'), on doit s'engager à limiter nos émissions à au moins 65%".

Cette loi climat est un écran de fumée

Jeu comptable et "puits de carbone" 

De plus, dans ce chiffre de 55% de diminution de gaz à effet de serre, annoncé avec fracas par la Commission, il y a ce que quelques-uns, voient comme un loup. Une astuce comptable. Explications: il s'agit de 55% en chiffre qu'on peut considéré comme "brut"". Il a été en effet conclu qu'un peu moins de 3% des émissions sont absorbées par ce qu’on appelle des "puits de carbone ". Des forêts et prairies déjà existantes sur le territoire de l'Union. Notons que la prise en compte de ces espaces naturels européens est autorisée par l’ONU. Mais l'objectif bien réel serait donc de -52,8% des émissions.

Ce que regrette certains écologistes. Se fixer l’objectif de 55% en effort réel aurait envoyé un signal fort”, commente Neil Makaroff, le responsable Europe du Réseau Action Climat, cité par le site Natura Sciences. Chez Greenpeace, on parle de "calcul hasardeux". Difficile en effet de calculer ce que ces zones forestières représentent vraiment. "D'autant qu'on sait que ces environnements sont vulnérables au changement climatique", note Carine Thibaut. On peut en effet supposer que les forêts pourraient absorber moins de carbone suite aux dérèglements du climat ou encore que d'autres pourraient être supprimées -des projets de déforestation sont encore en cours comme en Pologne, par exemple-.  

Chaleur intense à Nice, en été 2020
Chaleur intense à Nice, en été 2020 © VALERY HACHE - AFP

Taxonomie

Cette "loi climat", avec les objectifs chiffrés qui y sont liés, devrait servir aussi de boussole. 

Vers quels secteurs se tourner pour atteindre ces "55%"? Où diriger les investissements publics et privés (ainsi que les prêts financiers) afin de réussir cet objectif de réduction de gaz à effet de serre ? En bref : qu’est-ce que ça signifie, au juste, une économie verte ?


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Pour y voir plus clair, un des enjeux de ces derniers mois pour l’Europe a été de se mettre d’accord entre pays sur une "taxonomie". Que se cache derrière ce terme aux allures barbares? Il s'agit de la classification des activités "durables", des investissements verts.

La lutte a été âpre entre Etats dans la désignation de ces secteurs. Qu'est ce qui pollue? Qu'est-ce qui y est considéré comme durable ou vertueux? Des pays comme la Suède et la Finlande voulaient par exemple mettre le secteur du bois de chauffage dans le durable; les pays de l’Est le secteur gazier; la France le nucléaire….

Un système de "labélisation" des secteurs et activités qui lorgne du côté de Kafka ou d’Orwell, selon Daniel Guéguen, professeur au Collège d’Europe de Bruges et lobbyiste.

Un système basé sur des critères très techniques dont la rigueur scientifique a été critiquée. Ainsi, pour concocter cette "taxonomie", on a fait appel à un cénacle décisionnel assez "obscur". Composé d’experts (ONG, industriels mais aussi banques et divers lobbys) et chapeauté par la Commission européenne, il est synonyme de l'"ultra-bureaucratisation" de la Commission, selon Daniel Guéguen. 


A écouter aussi : "Au bout du jour", avec Daniel Guéguen, professeur au Collège d’Europe, à propos de la taxonomie


 

Europe et climat
Europe et climat © MARTIN BUREAU - AFP

Où sont les avions et les bateaux?

Qu'à cela ne tienne. De ces secteurs d'activités mis en lumière, on peut constater que certains ont été "oubliés". Ainsi, pour les secteurs nucléaires et gaziers, ce n'a pas encore été tranché. Pour les forêts scandinaves, elles ont été retirées de la liste des secteurs polluants. Et puis il y a le transport aérien et maritime, dont on ne sait ce qu'il advient pour le moment, l'accord n'ayant pas encore été rendu public, selon Carine Thibaut.

A noter que côté britannique, des engagements ont été pris dans cette direction. Londres a annoncé en effet qu'ils visaient une diminution de 78% du CO2 pour 2035, et la mise sur la touche des investissements dans l'aérien et le maritime. Côté européen, "il y a un manque de clarté concernant les aides aux énergies fossiles" poursuit Carine Thibaut.  

On aurait voulu avoir une position claire de l'Europe sur la question

D'autres sons de cloche pointent aussi un manque de prise en compte de l'innovation -un secteur "recherche et développement" qui, selon toute vraisemblance, devrait progresser encore d'ici 2050 -. "Pour notre part, cela est cependant difficile à évaluer compte tenu du pari sur l'avenir que ce secteur représente" nuance-t-on du côté de Greenpeace. L'ONG qui synthétise et déplore, sur ce sujet de la taxonomie : "On aurait voulu de toutes façons avoir une position claire de l'Europe sur la question. En fixant un cap clair et des secteurs précis, des directions vers lesquelles aller". Un exemple? Le secteur du recyclage des batteries.  

Champ d'éoliennes en Beauce, dans le centre de la France, entre Châteaudun et Blois.
Champ d'éoliennes en Beauce, dans le centre de la France, entre Châteaudun et Blois. © JEAN-FRANCOIS MONIER - AFP

Conseil consultatif

Selon le réseau de médias Euractiv, les négociateurs ont aussi accédé à une requête du Parlement européen, à savoir la création d’un Conseil consultatif scientifique européen. Il s’agit d’un organe indépendant de 15 membres, qui conseillera les autorités décisionnelles sur la façon d’atteindre les objectifs chiffrés fixés. Même si dans le chef de l'organisation non-gouvernementale, on salue l'initiative, un fameux bémol est à noter : "Ce conseil indépendant est chargé de mesurer et de donner des conseils pour les décennies 2040-2050. Or, c'est la décennie qui arrive qui est clé. C'est maintenant que l'on peut encore enrayer la courbe du changement climatique et rester dans les objectifs de l'accord de Paris. Nous sommes dans une course contre-la-montre, et on n'est pas en train de la gagner", explique Carine Thibaut. D'autant que passée la "parenthèse covid", où on a pu noter un tassement des émissions (un replis de 5,8%), on devrait repartir en 2021 vers des sommets.  

C'est maintenant que l'on peut encore enrayer la courbe du changement climatique


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Mont Cervin, à la frontière italo-suisse, en été 2020
Mont Cervin, à la frontière italo-suisse, en été 2020 © FABRICE COFFRINI - AFP

L’accord doit maintenant être peaufiné par des experts juridiques. Il sera ensuite soumis à un vote final du Conseil et du Parlement européen. 

Le fruit de ces négociations au niveau européen constitue néanmoins un signal fort à la veille du sommet sur le Climat à l'initiative du président américain. Et vers une neutralité carbone à l'horizon du milieu de ce siècle. "Une neutralité carbone qui reste un objectif général, et pas par pays. Nous prônons d'avantage une approche visant à atteindre le 'zéro émission', et pas la neutralité", précise-ton chez Greenpeace Belgium. 


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Sujet sur une station électrique de recharge "intelligente" dans notre 13h de ce mercredi :

Belgique: première station électrique de recharge intelligente

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