"Je me suis dit que je n’allais jamais y arriver": aider les jeunes avant qu'ils ne craquent face à la crise, et ne passent à l'acte

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Par Lavinia Rotili

On l’appellera Nicole. La vingtaine, une passion pour la lecture et un rêve de devenir kiné, finit par craquer. Un jour, elle avale deux plaquettes d’antidépresseurs. Son ex-copain passe à la maison pour récupérer des affaires et l’emmène à l’hôpital.

"Le premier confinement a tout fichu par terre", explique-t-elle aujourd’hui. Cours à distance, des difficultés à progresser dans les études, la fin de la vie sociale : bref, de quoi déprimer tout jeune homme ou toute jeune femme dans ses projets. Malgré tout, Nicole résiste et, grâce au confinement de l’été, se sent mieux. Jusqu’à l’arrivée de la deuxième vague et du confinement qui a suivi.

"Depuis, j’ai perdu toute motivation, je n’avais plus envie de rien faire. Je n’étais plus motivée à avancer, même si les cours me plaisent beaucoup. J’avais l’impression de stagner, que le monde ne bougeait pas, que moi je n’avançais pas beaucoup. A un moment donné, j’ai sous-estimé mes capacités, je me suis dit que je n’allais jamais y arriver".

Malgré tous les efforts pour aller mieux, elle craque. Et avale deux plaquettes de médicaments. Les souvenirs de cette soirée sont flous, mais peu importe. Aujourd’hui, Nicole remonte la pente. "Mon père m’a appris à ne jamais abandonner. Parfois, quand je ne me sens pas bien, je pense à ce qu’il ferait. Et ça me motive", raconte la jeune femme. "J’essaie aussi de ne pas trop me projeter dans l’avenir. Je vis au jour le jour et j’essaie de saisir les opportunités qui se présentent à moi".

De la lecture, des projets, ou comment réinventer ses journées de confinement

Depuis, rien ne l’arrête. Un planning très chargé lui permet de s’occuper et de se recentrer dans d’autres activités : "Je me lève tous les jours à 6 heures et je m’occupe avec plein d’activités. Je fais beaucoup de sport, je passe du temps à l’extérieur, je lis une heure et demie par jour", raconte Nicole, prénom d’emprunt qu’elle a choisi. Son planning, elle le suit au pied de la lettre. C’est son moyen de s’autodiscipliner.

Pour se motiver, ses activités ne suffisent pas : elle a le projet de peindre sa chambre, acheter un canapé, rendre cette pièce son petit cocon. "Et je voudrais aussi acheter une bibliothèque, comme ça, je pourrais lire encore plus". Ce sont surtout les poésies qu’elle aime bien.


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Suivie par un psychiatre, la jeune femme raconte son expérience avec distance, rationalité. Une manière de prendre du recul et de se protéger. Si aujourd’hui elle cherche à garder le cap, c’est parce qu’elle apprend à relativiser. "Parfois, quand la solitude et le vide prennent le dessus pendant toute une journée, je prends un carnet, j’analyse ma journée et je note trois choses positives. Cela peut être des choses qui m’ont fait sourire ou qui m’ont fait du bien. Au bout du compte, je me rends compte qu’il n’y a pas que du négatif. C’est utile pour prendre de la distance".

Et puis, le contact, rien que cela, lui fait du bien. Quelque temps après sa tentative de suicide, elle est accueillie par un élan de solidarité au sein d’un groupe Facebook appelé "Comment vas-tu ?". "J’ai reçu plein de belles paroles, de propositions d’activités. J’ai été vraiment très touchée par la bienveillance des gens. Ils ont été nombreux à me contacter en privé : certains me proposaient des activités, comme des cours de yoga. D’autres m’ont filé leur numéro pour qu’on s’appelle. Il existe plein de gens bien, finalement."

Depuis, Nicole y partage souvent les petites victoires qui font sa journée. Comme elle, ils sont plus de 700 à partager leurs pensées, leur vie quotidienne ou offrir leur soutien dans ce groupe Facebook.

"Comment vas-tu ?", un lieu de partage

Derrière ce mur de mots et de photos se trouve Lola Rastaquouere, maman de 50 ans.

"L’idée est née d’un événement très triste. Trois copains de mon fils se sont suicidés. Nous avons vécu beaucoup de tristesse à la maison et au bout d’un an de confinement, j’ai voulu réagir. J’ai d’abord écrit un long post sur Facebook, puis j’ai décidé que je ne voulais pas en rester là", raconte-t-elle. "Au départ, l’idée était de créer un espace où des jeunes et des personnes âgées puissent faire du lien".


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Les inscrits pouvaient alors former des "duos" et communiquer à travers des panneaux et des photos en répondant à la simple question "Comment vas-tu ?". Rapidement, les gens s’emballent, commencent à partager leur vécu, à proposer des rendez-vous en extérieur, des coups de téléphone, des appels vidéos.

A l’heure d’écrire ces lignes, le groupe foisonne d’appels à l’aide mais encore plus d’offres de soutien et de partage. "Par exemple, je sais qu’un jeune et un monsieur de 70 ans ont pris le pli de s’appeler tous les jours en vidéo", raconte Lola.

Extérioriser ses sentiments, chercher le contact

"J’ai rapidement remarqué que cet espace permet aux jeunes de comprendre qu’ils ne sont pas tous seuls. Il y a une espèce d’énergie qui se met en place, et j’ai pu ressentir que même ici à la maison ça a changé la donne", raconte la quinquagénaire, qui a vu les tentatives de suicide se multiplier dans son entourage depuis le début de la pandémie.

Si ce groupe est un espace de parole libre, c’est qu’extérioriser ses sentiments peut véritablement faire du bien. "A condition que cela soit fait de manière constructive", note cependant Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain.

"Sinon, le risque est de tomber dans l’agressivité, dans la polarisation, voire dans la négativité", note le psychologue.


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C’est assez intéressant, plusieurs initiatives qui vont dans ce sens. A Mons, un tel espace de parole a été créé il y a quelques jours. Une initiative bénévole qui a débuté ce jeudi, mais qui promet de se développer. Toujours dans la cité du Doudou, une ligne d’écoute téléphonique d’aide a été créée au sein de l’hôpital Ambroise Paré.

"On reçoit des appels, des messages WhatsApp ou des SMS et on cherche alors à diriger les jeunes vers celles et ceux qui peuvent les aider", raconte le psychologue coordinateur du projet Antoine Pecher. Au sein de l’hôpital, l’équipe s’est rapidement mobilisée pour faire face à la détresse psychologique vécue par les jeunes. "Parfois, on les accompagne physiquement là où il faut. De temps en temps, il s’agit d’établir un contact. Ils sont nombreux à souffrir à cause de la solitude", raconte le psychologue, qui incite les jeunes à ne pas hésiter à recourir à ce service totalement gratuit.

Un mur "d’expression libre"

Pas très loin du Hainaut, le centre culturel de Beauvechain s’est aussi mobilisé. Dans un même esprit de partage et d’extériorisation, deux animatrices culturelles ont voulu créer "un mur d’expression libre" au milieu du village, un projet coordonné avec le centre culturel local.

"Le point de départ est les drapeaux de prière tibétains. Le principe est d’envoyer des messages d’encouragement positifs et de soutien. En tant qu’animatrice culturelle, j’avais envie de jouer mon rôle au sein de la société et en créant MURmures, je pouvais faire ma part. Cela aide les personnes seules ou isolées à sentir le soutien, l’amour. Une collègue de "Beauvechain en transition" s’est associée au projet, notamment pour proposer des projets futurs centrés sur la transition écologique", note-t-elle.

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"Lorsqu’on découvre le mur qui se trouve au centre du village cela fait chaud au cœur et donne du courage en cette période des plus particulière", note encore Lydie. Il suffit de regarder sur la page Facebook du projet pour voir que les retours sont positifs.

Si le projet a du succès, c’est aussi qu’en plus de l’expression, proposer des projets pour l’avenir fait réellement du bien dans une période d’incertitude. Il s’agit de l’un des objectifs de ce mur d’expression et notamment de son association avec "Beauvechain en transition".

"D’un point de vue scientifique, il est prouvé que planifier des choses sur le long terme a un impact positif", appuie Olivier Luminet. "Par exemple, même planifier des vacances peut-être ressourçant : il s’agit d’une activité distrayante et qui permet de se projeter sur le long terme". Voilà une autre astuce qui pourrait permettre d’aller mieux.

"Dans notre société, nous avons l’habitude de nous projeter dans le futur immédiat, alors qu’il faudrait réfléchir à nos projets sur la longueur, comme un ou deux ans. Or, cette crise sanitaire rend la planification sur le court terme et cet horizon devient insuffisant. En revanche, le coronavirus peut nous avoir appris ce qui compte pour nous ou ce que l’on n’a pas envie de faire". Savoir ce que nous ne voulons plus répéter dans le "monde d’après", voilà qui donne une autre piste pour se chercher malgré le contexte difficile.

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