L’OMS recommande de ne plus vendre d’animaux vivants sur les marchés : pour l’immunologiste Eric Muraille, cela va dans le bon sens, mais…

Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l’ULB

© RTBF

Temps de lecture
Par A.M.

Des animaux vivants en vente sur des marchés, c’est une pratique encore fort répandue en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud. La Chine l’a désormais interdite, tandis que du côté de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), on recommande désormais de ne plus s’y livrer, car elle peut s’avérer dangereuse pour l’homme, avec le risque de transmission de maladies.

Pour Éric Muraille, biologiste et immunologiste à l’ULB, invité de Sophie Brems dans Matin Première, c’est une mesure qui "va dans le bon sens. On a bien vu, durant la pandémie de SARS-Cov-2, que réagir à ce type de menace et à une pandémie est très compliqué. On n’a pas de traitement spécifique, il a fallu beaucoup de temps pour disposer d’un vaccin et on est déjà presque à trois millions de morts, donc la meilleure manière d’agir contre ces menaces est de les anticiper, et si possible de les prévenir, en agissant sur leurs conditions d’émergence".

70% de ces nouveaux agents infectieux sont d’origine animale

Et ces conditions d’émergence, commencent à être bien connues (même si pour le SARS-CoV-2 on est encore sûr de rien), précise encore Eric Muraille, "entre 1940 et 2004, par exemple, on a identifié 335 maladies infectieuses émergentes. Et 70% de ces nouveaux agents infectieux sont d’origine animale".

Les marchés traditionnels jouent un rôle très important dans la dissémination des agents infectieux : beaucoup d’animaux vivants de provenance très diverse, rassemblés sur un petit espace, dans des conditions d’hygiène pauvres, souvent sans contrôle sanitaire : les marchés jouent le rôle d’incubateurs et de disséminateurs.


Lire aussi : Coronavirus : certains animaux plus vecteurs que d’autres


Cela dit, cette mesure de l’OMS est à relativiser, car on ne parle que de mammifères, or, sur les marchés on vend aussi énormément de volaille et d’oiseaux. "Ça a du sens, mais on parle peu des oiseaux d’élevage alors qu’on sait qu’ils sont d’importants réservoirs pour beaucoup de virus, par exemple le virus de la grippe".

Une interdiction qui risque de poser des problèmes

Les marchés d’animaux vivants font vraiment partie des normes culturelles en Asie ou en Afrique. "La population est convaincue qu’en achetant un animal vivant, elle peut mieux vérifier son état sanitaire, ce qui est faux dans de nombreux cas. Certaines infections sont asymptomatiques chez l’animal et peuvent être dangereuses chez l’humain. Mais changer ces normes culturelles demande en principe une approche locale et une éducation sur le très long terme".

A l’évidence, une simple recommandation ne suffira pas. L’OMS n’a aucune autorité pour l’imposer. Pour rendre cette mesure efficace, "il faudrait qu’elle soit largement acceptée et appliquée."

Contrôle compliqué

L’interdiction de vendre des animaux vivants sur les marchés en Chine n’est pas aisée à contrôler : "il y a déjà plus de 8000 marchés d’animaux vivants. C’est donc énormément de zones à surveiller et ce n’est pas du tout une mince affaire. La simple émission d’un avis ou même le passage d’une loi auraient sans doute peu d’impact. Il faut penser, par exemple, au trafic d’animaux sauvages qui existe depuis des décennies et contre lequel on lutte, mais sans succès depuis des années."

Par ailleurs, "on a bien vu avec le SARS-CoV-2 et auparavant avec le H1N1, ces infections circulent très vite. Elles peuvent survenir en n’importe quel point du monde et on a une dissémination qui devient très vite globale."

Interconnexion

Quoi qu’il en soit, une nouvelle approche de santé, avec une vision plus multidisciplinaire est en train de se mettre en place. "C’est le cadre conceptuel, à l’heure actuelle, de la plupart des agences de santé publique nationales ou internationales, comme l’OMS. Il s’agit de bien penser l’interconnexion du vivant et le fait que la santé animale, l’état des écosystèmes et la santé humaine sont interconnectés. C’est le premier point. Le deuxième point est d’essayer, pour protéger l’humain, d’agir sur les conditions d’émergence des maladies infectieuses.

Agir sur les marchés est important, parce qu’ils suscitent le commerce d’animaux sauvages, et donc l’envahissement des écosystèmes. Donc, en jouant sur le commerce des animaux sauvages, on joue à la fois sur les marchés, mais également sur l’envahissement des écosystèmes. Plus on va les réduire, plus on a de chance de limiter l’apparition de nouvelles maladies infectieuses".

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Articles recommandés pour vous