Entre éloignement, repli sur soi et retrouvailles, comment vivons-nous nos amitiés confinées ?

Amitié & confinement

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Par Maxime Fettweis

"S’il me reste un ami qui vraiment me comprenne, j’oublierai à la fois mes larmes et mes peines", chante Françoise Hardy dans sa chanson intitulée "L’amitié". Jamais dans sa chanson, la chanteuse aujourd’hui âgée de 77 ans n’évoque à quel point nos relations sont secouées par une pandémie mondiale qui nous force à limiter nos contacts avec ces amis. Ce n’est pas étonnant puisqu’en 1965, année de sortie de la chanson, on était bien loin de présager la situation sanitaire que nous connaissons près de 56 ans plus tard. Mais alors, les amis sont-ils ces phares dans la nuit qui permettent de garder le sourire dans cette période difficile ou l’amitié est-elle en train de s’effacer à mesure que nous sommes cloîtrés à domicile ?

"Depuis six mois, je n’ai plus vu personne", constate Constance lorsqu’elle dresse le bilan des moments passés avec ses amis sur l’année écoulée. La combinaison du télétravail et des mesures qui contraignent nos contacts rapprochés depuis de nombreux mois a eu un réel impact sur les relations qu’a cette jeune femme de 26 ans avec ses amis. Alors passé le désespoir, elle accuse le coup : "Forcément, je sens un éloignement." D’autant que, cloîtrée à son domicile, elle reçoit régulièrement des invitations à des réunions avec certains groupes avec lesquels elle passait volontiers un moment autour d’un verre dans le "monde d’avant".


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Mais elle est formelle, elle ne dérogera pas à la règle qu’elle s’est fixée : elle ne veut voir personne d’autre que ses parents, par peur de les mettre en danger en cas de contamination. "J’ai toujours l’impression d’être la fille chiante, celle qui refuse tout et je sais qu’au bout d’un moment, on ne m’invitera plus", concède-t-elle, comme prise dans l’étau du choix entre préserver des contacts avec sa famille ou avec ses amis.

Du côté de Liège, Fabien ne vit pas ses relations amicales plus positivement. "Mais avec le temps, j’ai pris l’habitude de garder le contact autrement", se console-t-il. Cet étudiant de 27 ans estime que la technologie est "une chance" qui permet de maintenir le lien mais "ce n’est plus pareil". "La crise maltraite mes relations, c’est certain", affirme-t-il même s’il avoue avoir repris depuis quelques mois des contacts physiques avec son cercle rapproché lors de balades.

"Ce n’est pas un hasard s’il existe un dicton qui dit 'loin des yeux, loin du cœur', commente Bernard Rimé, psychologue social de l’UCLouvain. Les relations amicales que l’on développe sont continues et les liens se tissent au fur et à mesure de ce qui nous arrive." Alors lorsque l’impression qu’il ne nous arrive plus rien chamboule notre quotidien, difficile de retrouver pied dans le champ de bataille de nos amitiés. Quand le temps fait son affaire et que le contact est rompu, c’est "une partie de la culture commune" qui s’évapore avec lui. "À ce moment-là, renouer le contact devient difficile", estime ce spécialiste.

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Le pouvoir de la "créativité sociale"

Pourtant, avec la crise sont apparus de nouveaux moyens de rester littéralement connecté à ceux qui nous sont chers. Discussions sur Messenger, notes audio sur WhatsApp ou encore apéros sur Facetime sont entrés dans nos vies aussi rapidement que les masques et le gel hydroalcoolique. "Boire un verre toute seule devant mon ordinateur, ce n’est pas trop mon truc, par contre, j’envoie quasi quotidiennement des notes audio Whatsapp à une amie. J’y parle de mes états d’âme, mes émotions, mon ressenti. C’est bête mais se parler comme ça nous a énormément rapprochées alors qu’on s’était éloignées ces dernières années", s’étonne Constance.

Bernard Rimé estime qu’avec la crise, nous avons perdu tous les grands outils de sociabilité qui étaient à notre disposition. "Avec la fermeture des bars, des restaurants ou des lieux culturels où nous avions l’habitude de nous retrouver, il a fallu trouver d’autres moyens de maintenir le contact social. Il y a eu une forme d’intelligence et de créativité sociale qui s’est rapidement mise en place via toutes ces alternatives numériques."


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Mais si ces alternatives permettent de compenser la perte de contacts physiques, le psychologue estime qu’ils agissent uniquement comme des palliatifs. "Rien ne permet de remplacer la présence physique, déplore-t-il. L’expérience sociale renforce l’impression de fusion avec l’autre. Avoir en face le corps de quelqu’un crée une interaction particulière. Il y a une multitude de signaux qui sont à l’œuvre, les sourires, les regards, le langage corporel… La présence physique permet une richesse de communication que rien ne peut réellement remplacer."

L’appréhension des retrouvailles

Mais si comme Fabien, de nombreux Belges entrevoient à nouveau leurs proches à l’extérieur ou lors de soirées en intérieur malgré la règle toujours en vigueur qui empêche de voir plus d’une personne à son domicile, difficile d’oublier le contexte que nous sommes tous en train de traverser. "Quand j’ai retrouvé mes potes, au départ, il y a eu un petit moment de malaise, se souvient-il. Même si on se parlait par messages, on ne s’était plus vus depuis tellement de temps. On ne savait pas trop quoi faire ou quoi dire. Et finalement le naturel est revenu, c’était un grand bonheur."

Cette joie immense de retrouver des amis physiquement après une longue période de séparation, Marina, 27 ans, l’a aussi ressentie lorsqu’elle a retrouvé plusieurs de ses amies il y a plusieurs semaines. "Il y a eu une forme d’excitation hyperintense rien qu’à l’idée de se revoir alors qu’on avait planifié ça un mois avant, se souvient-elle. Maintenant que je commence à revoir des gens, avec toute la prudence que cela inclut, le moindre truc qui aurait pu paraître banal dans la 'vie d’avant' devient quelque chose d’exceptionnel."

Ce genre de réaction n’étonne pas Bernard Rimé qui estime que la situation, bien que difficile, que les Belges vivent depuis plus d’un an, a ouvert les yeux à de nombreuses personnes sur l’importance des relations sociales. "Alors que beaucoup disent que nous sommes dans une société individualiste, avec la situation actuelle, nous nous rendons de plus en plus compte que le social reste important", pointe-t-il. C’est pour cette raison que la moindre attention revêt un sens qui paraît énorme par rapport à la perception que nous pouvions en avoir avant que le coronavirus ne chamboule nos rapports.


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Car au-delà de nous cloîtrer à domicile, le virus a aussi infecté nos conversations, les médias et la dimension active que pouvaient avoir nos "vies d’avant". "Le maintien de la relation n’est pas facilité, c’est certain", observe le psychologue. "Car même si nous sommes tous différents face à la situation, il y a à la fois moins de choses à raconter, un repli social inhérent à la situation car nous sommes moins enclins à entrer en contact les uns avec les autres et un sentiment où on se sent tous malheureux, qui favorise potentiellement la rumination qui est très délétère."

Et demain ?

Mais alors que restera-t-il de notre cercle d’amis une fois cette crise passée ? Difficile à savoir même si pour Constance, "cela a permis de faire un tri naturel" entre les amitiés superficielles et les autres, en même temps qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’était plus à 100% sur la même longueur d’onde que ses relations qui ne respectent pas les règles, au mépris de la situation épidémique.

De son côté, Marina est reconnaissante d’avoir traversé cette situation, même si elle trépigne de pouvoir y mettre un point final. "Cela m’a appris à apprécier chaque petite chose que je partage avec quelqu’un, positive-t-elle. Plus tard, on se rappellera du corona comme d’une épreuve qu’on a passée ensemble alors qu’au final, on était tous séparés."

Fabien, lui, appréhende surtout que "la vie d’avant" que nous espérons tous revoir surgir le plus rapidement possible, ne soit plus vraiment la même. "On avait nos petites adresses, nos bars, nos restaurants où on avait l’habitude de se retrouver avant. Maintenant, on n’est pas sûr qu’il n’y en aura pas un ou deux qui aura mis la clé sous la porte." Rien n’est moins sûr, mais en attendant cette crise aura été une preuve, s’il en fallait encore une, de la résilience dont l’humain est capable.

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