Données statistiques sur les violences envers les femmes : la Belgique à la traîne ?

Le manque de données statistiques concernant les violences liées au genre contribue à invisibiliser les problèmes et les victimes.

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Par Johanna Bouquet

Ce lundi 8 mars marque la journée internationale des droits des femmes. L’occasion de faire le point sur l’état des inégalités. Mais de quelles données statistiques dispose-t-on pour le faire ?

En Belgique, les données officielles concernant les violences de genre sont celles enregistrées par la police lors de dépôt de plainte. Premier problème, ces données ne sont que le sommet de l’iceberg, impossible de savoir ce qu’il en est pour les personnes qui ne portent pas plainte. On parle du chiffre noir des violences sexuelles. Par ailleurs, plusieurs données manquent pour établir une vue précise de la situation des violences sexuelles en Belgique, comme les données genrées. Un problème que les associations de terrain tentent de pallier en réalisant diverses enquêtes, mais c’est n’est pas suffisant.

Régulièrement dans la presse, des chiffres ressortent sur les violences de genre : qu’elles soient sexuelles, physiques ou psychiques. Des chiffres basés sur des enquêtes réalisées par des associations, avec leurs moyens, depuis le terrain, et avec les données dont elles disposent.

Pourtant, officiellement, du côté des autorités il existe en fait peu de données compilées et ventilées sur ce type de violences. Et elles sont incomplètes. Résultat ? Difficile d’obtenir une vue d’ensemble objective de la situation en Belgique. Le pays est-il à la traîne ?

La récolte des données : une obligation

La convention d’Istanbul est un traité international dont le but est "de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique". Le texte reconnaît également que les violences contre les femmes sont structurellement des violences de genre. Un texte dont la Belgique est signataire.

Parmi les dispositions de ce texte, les Etats signataires ont l’obligation de fournir des données à l’échelle nationale concernant les violences sexuelles. C’est l’article 11 § 2 de la convention d’Istanbul.

Le texte impose notamment aux Etats d'"d’effectuer des enquêtes basées sur la population, à intervalle régulier, afin d’évaluer l’étendue et les tendances de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention."

Toutefois, plusieurs associations de terrain pointent le manque de ce genre d’enquête mais surtout, si certaines données existent, elles semblent insuffisantes pour permettre une photographie claire de l’étendue des violences liées au genre en Belgique.


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A l’inverse, ce sont les associations qui recueillent les données auprès des populations dont elle s’occupe. D’un côté cela est utile pour dégager des tendances et des phénomènes mais de l’autre cela ne résout pas "le chiffre noir", ces victimes dont ni les associations ni la justice n’ont accès. Se pose également le problème de la définition et des critères. Amnesty international choisi de définir les violences sexuelles de façon large pour pouvoir couvrir un maximum de problématiques, mais ce n’est pas nécessairement exactement la même chose pour une autre association ou encore pour les autorités. Ce qui complique l’analyse, car impossible de croiser les données.

De quelles données nous disposons ?

Nous disposons de deux types de données. Les données de prévalence, des enquêtes qualitatives à un moment donné et les statistiques administratives officielles, à savoir ici les données de la police et celle de la justice.

Côté police, ce dont nous disposons ce sont les données de dépôt de plainte auprès de la police : les données de la criminalité, tous crimes confondus. Au moment d’écrire ces lignes les dernières données compilées, qui viennent de paraître, sont celles du premier semestre 2020.

En fait lorsqu’une victime porte plainte auprès des forces de l’ordre, sa déclaration est encodée et il s’agit ensuite, en quelque sorte, de "cocher" la case du crime auquel la plainte appartient.

Cette nomenclature est assez large, elle est mise à jour tous les semestres et elle est accessible à tous, en ligne. Toutefois, toutes les formes de violences liées au genre ne sont pas reprises. Pour que la catégorie du crime soit mentionnée, il faut qu’elle soit inscrite dans le Code pénal. Par ailleurs, elles sont noyées dans l’ensemble des chiffres de la criminalité.

C’est le cas, par exemple, pour les féminicides, dont la catégorie n’existe pas dans le Code pénal, ni dans la base de données de la police. Le féminicide sera donc encodé dans "infractions contre l’intégrité physique", catégorie "assassinat" ou "meurtre". "Pouvoir détailler et ajouter des catégories plus précises, cela permettrait d’éviter que certains actes passent à la trappe", indique Zoé Spriet-Mezoued, coordinatrice de campagnes pour Amnesty international.

Actuellement les données spécifiques concernant les féminicides sont recensées via une association – Stop Feminicides – qui recense les crimes via les mentions dans la presse. Une catégorie de violence, invisibilisé qui ne permet pas de rendre compte du phénomène.

La catégorie féminicide n’existe pas dans la base de données.
La catégorie féminicide n’existe pas dans la base de données. © Banque nationale générale

Pour le volet justice, il existe des données permettant de savoir combien d’affaires ont été classées et poursuivi et pour quels motifs. En revanche, et c’est ce que dénoncent les nombreuses organisations que la RTBF a interrogées, impossible de savoir quels ont été les types de condamnations. "On ne sait pas combien de personnes ont été condamnées pour viol, par exemple", souligne la coordinatrice d’Amnesty international. "Ça reste nébuleux, cela vient biaiser l’analyse", indique de son côté Stéphanie Jacquet-Parienté, juriste auprès de SOS Viol.

"Les données de la justice permettent d’éclairer certains aspects mais pour la suite, dans le suivi judiciaire, il n’y a pas de données. On sait qu’il y a une forme d’impunité pour les accusés de viols mais sans données, difficile d’avoir une lecture précise. On peut faire des estimations mais nous n’avons pas de certitudes", souligne Zoé Spriet-Mezoued, coordinatrice pour Amnesty.

Où sont les données genrées ?

L’une des données manquantes pour comprendre l’état des violences liées au genre en Belgique, ce sont précisément les données sur le genre des victimes. Aujourd’hui, on connaît celui des auteurs mais impossible de connaître celui des victimes. SOSViol, Amnesty International ou encore l’Université des Femmes pointent la difficulté de comprendre ce qu’il se passe sans ces données.

"C’est pourtant une exigence de la convention d’Istanbul", rappelle Stéphanie Jacquet-Parienté. Et d’ajouter, "dans les banques de données on trouve le sexe de l’auteur mais pas celui des victimes. On sait par exemple que 97,8% des personnes accusées de viol étaient des hommes, mais on n’a pas d’informations sur les victimes".

"On manque d’une lecture genrée des violences et ça invisibilise le phénomène", appuie de son côté Zoé Spriet-Mezoued. Et d’ajouter, "c’est une demande que l’on formule depuis 2014".

Pour Véronique De Baets, porte-parole à l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ce problème quant à l’absence de données genrées concerne l’ensemble des secteurs en Belgique et pas uniquement les violences. "Le fait qu’en Belgique, il y ait un problème de ventilation statistique sur les hommes et les femmes, une absence de statistiques genrées est un véritable défi, c’est une priorité depuis plusieurs années qui n’a toujours pas abouti. Ce qui nous revient c’est que cela est compliqué d’un point de vue technique à mettre en place. Mais c’est un problème belge, les autres pays européens ne semblent pas avoir ce problème", explique-t-elle.

Stéphanie Jacquet-Parienté explique qu’il faudrait "avoir tout sur une même base de données qui soit recoupée et accessible".

Trop peu pour aller plus loin ?

Comme plusieurs organisations de terrain, Zoé Spriet-Mezoued plaide pour "une lecture harmonisée, coordonnée et nationale avec une définition commune des termes employés. C’est cela qui permettra de comparer et d’analyser les situations".

L’invisibilisation des multiples formes de violences et de leurs victimes, c’est une des conséquences de cette absence de données claires. En effet, si pour l’heure, le point basique que sont les données genrées n’est pas encore mis en place, l’analyse plus qualitative est somme toute impossible.


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Car au-delà du genre, il manque également les données de contexte. Si plusieurs acteurs pointent certains phénomènes grâce des études menées par leurs soins, certains aspects des violences ne peuvent être analysés sans données statistiques. Impossible d’objectiver, ce qui dessert également les associations, moins armées pour étayer leur propos.

En l’état, comme nous l’explique-t-on, on ne saurait pas dire, par exemple, le nombre de plaintes déposées pour attentat à la pudeur, par des femmes souffrant de handicap. Soit les données n’existent pas, et quand elles existent, elles ne se croisent pas. "Sans statistiques sexués qui tiennent compte du contexte social, on passe à côté des problèmes, la contextualisation est essentielle", pointe Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes.


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"On a besoin de politiques qui prennent en compte les différents éléments. On a besoin de savoir dans quelles mesures, par exemple, les minorités sont plus exposées à la violence, de savoir s’il y a une différence dans l’accès la justice ou aux soins pour ces personnes. Une lecture plus fine pour apporter les bonnes réponses", indique de son côté Amensty international.

Enfin, si les organisations telles que celles mentionnées dans cet article, tentent de pallier le manque d’enquête sur les violences de genre, non seulement ces études ont leur limites : dans la définition des termes et dans l’accès à l’information, mais réaliser une enquête de prévalence ou d’analyse statistique nécessite un budget et donc des moyens financiers. "C’est difficile pour ONG qui n’a pas les moyens de recherche d’un Etat. Et ce n’est pas le rôle d’organisation comme Amnesty international mais c’est celui des gouvernements", estime Zoé Spriet-Mezoued.

La dernière grande enquête que la Belgique a réalisée avait été confiée à l’institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, elle remonte à 2010. Une nouvelle enquête a été demandée, elle est en cours, mais les résultats ne devraient pas ressortir avant 2022.

Journal Télévisé du 8/03/2021

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