Les autorités sénégalaises ont promis de "ramener l’ordre" après des scènes de guérilla urbaine, ayant fait officiellement quatre morts, entre les forces de l’ordre et des jeunes réclamant la libération de l’opposant Ousmane Sonko, dont l’arrestation a libéré une exaspération accumulée devant la dureté des conditions de vie. Les tensions, sensibles depuis deux jours dans un pays habituellement considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, se sont intensifiées sans perspective apparente d’apaisement, la justice ayant maintenu Ousmane Sonko en garde à vue.
Quatre morts et des pillages
Plusieurs quartiers de Dakar et de villes de l’intérieur ont connu des affrontements d’une ampleur inconnue depuis plusieurs années, bien que la riposte policière semble se limiter essentiellement aux moyens antiémeutes.
Le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome a accusé Ousmane Sonko d’être responsable de ces violences en ayant "lancé des appels à la violence" et à "l’insurrection". Le ministre a condamné des "actes de nature terroriste" et lancé un appel "au calme, à la sérénité et à l’apaisement". Grâce à la campagne de vaccination en cours, il a aussi évoqué la "perspective de l’allégement du couvre-feu", qui aggrave depuis janvier la situation souvent déjà précaire de nombreux Sénégalais.
A Dakar, la bataille a laissé après coup le spectacle saisissant de rues vidées de gens et de véhicules, jusqu’aux proches abords des lieux de pouvoir, et jonchées de projectiles de toutes sortes, entre les magasins tous fermés.
Dans le quartier populaire de la Médina, des groupes de jeunes scandant "Libérez Sonko !" ont harcelé en jetant des pierres les très nombreux policiers, dans les nuages de lacrymogènes et les déflagrations de grenades assourdissantes. Les mêmes incidents se sont reproduits un peu plus loin près de la place de la Nation. Des blindés avaient été positionnés auprès de la présidence et ses accès bouclés.
A Mbao, dans la grande banlieue, des pillards ont été aperçus samedi matin sortant les bras chargés de marchandises d’un supermarché Auchan incendié la veille, Auchan dont au moins 14 magasins ont été attaqués et 10 "pillés", selon la direction du groupe français.
L’arrestation, mercredi, d’Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble les frustrations suscitées par les conditions de vie depuis la pandémie de Covid-19.
Dans la foule, beaucoup exprimaient leur ressentiment contre le président Macky Sall.
La colère de la jeunesse: une Belge témoigne depuis Dakar
Geneviève Duchenne, une Belge qui enseigne à l’Ecole internationale de Dakar témoigne : "Je pense que c’est toute la colère de la jeunesse qui s’exprimait notamment par les restrictions de liberté puisque la population sénégalaise a l’impression que c’est un coup monté contre l’opposant à Macky Sall, et puis le début de la crise Covid, il y a le couvre-feu. […] C’est toute cette frustration qui a explosé hier à Dakar".
Geneviève Duchenne décrit une jeunesse en perdition, déscolarisée : "C’est la première fois, […] les gens n’ont jamais vu cela : des scènes de guérilla urbaine, des jeunes qui caillassent la police qui riposte à coups de bombes lacrymogènes et assourdissantes…"
L’enseignante belge relève aussi l’absence de réaction des imams et des marabouts qui n’ont pas lancé d’appels au calme, face à ce mouvement de soutien à Ousmane Sonko, fervent musulman, tenant d’un islam plus pur au Sénégal.