Sénégal: une Belge témoigne depuis Dakar après les émeutes qui ont fait quatre morts

Sénégal: les autorités veulent ramener l'ordre après les émeutes qui ont fait quatre morts

© JOHN WESSELS - AFP

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Par JF Herbecq avec AFP et W. Fayoumi

Les autorités sénégalaises ont promis de "ramener l’ordre" après des scènes de guérilla urbaine, ayant fait officiellement quatre morts, entre les forces de l’ordre et des jeunes réclamant la libération de l’opposant Ousmane Sonko, dont l’arrestation a libéré une exaspération accumulée devant la dureté des conditions de vie. Les tensions, sensibles depuis deux jours dans un pays habituellement considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, se sont intensifiées sans perspective apparente d’apaisement, la justice ayant maintenu Ousmane Sonko en garde à vue.

Quatre morts et des pillages

Plusieurs quartiers de Dakar et de villes de l’intérieur ont connu des affrontements d’une ampleur inconnue depuis plusieurs années, bien que la riposte policière semble se limiter essentiellement aux moyens antiémeutes.

Le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome a accusé Ousmane Sonko d’être responsable de ces violences en ayant "lancé des appels à la violence" et à "l’insurrection". Le ministre a condamné des "actes de nature terroriste" et lancé un appel "au calme, à la sérénité et à l’apaisement". Grâce à la campagne de vaccination en cours, il a aussi évoqué la "perspective de l’allégement du couvre-feu", qui aggrave depuis janvier la situation souvent déjà précaire de nombreux Sénégalais.

A Dakar, la bataille a laissé après coup le spectacle saisissant de rues vidées de gens et de véhicules, jusqu’aux proches abords des lieux de pouvoir, et jonchées de projectiles de toutes sortes, entre les magasins tous fermés.

Dans le quartier populaire de la Médina, des groupes de jeunes scandant "Libérez Sonko !" ont harcelé en jetant des pierres les très nombreux policiers, dans les nuages de lacrymogènes et les déflagrations de grenades assourdissantes. Les mêmes incidents se sont reproduits un peu plus loin près de la place de la Nation. Des blindés avaient été positionnés auprès de la présidence et ses accès bouclés.

A Mbao, dans la grande banlieue, des pillards ont été aperçus samedi matin sortant les bras chargés de marchandises d’un supermarché Auchan incendié la veille, Auchan dont au moins 14 magasins ont été attaqués et 10 "pillés", selon la direction du groupe français.

L’arrestation, mercredi, d’Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble les frustrations suscitées par les conditions de vie depuis la pandémie de Covid-19.

Dans la foule, beaucoup exprimaient leur ressentiment contre le président Macky Sall.

La colère de la jeunesse: une Belge témoigne depuis Dakar

Geneviève Duchenne, une Belge qui enseigne à l’Ecole internationale de Dakar témoigne : "Je pense que c’est toute la colère de la jeunesse qui s’exprimait notamment par les restrictions de liberté puisque la population sénégalaise a l’impression que c’est un coup monté contre l’opposant à Macky Sall, et puis le début de la crise Covid, il y a le couvre-feu. […] C’est toute cette frustration qui a explosé hier à Dakar".

Geneviève Duchenne décrit une jeunesse en perdition, déscolarisée : "C’est la première fois, […] les gens n’ont jamais vu cela : des scènes de guérilla urbaine, des jeunes qui caillassent la police qui riposte à coups de bombes lacrymogènes et assourdissantes…"

L’enseignante belge relève aussi l’absence de réaction des imams et des marabouts qui n’ont pas lancé d’appels au calme, face à ce mouvement de soutien à Ousmane Sonko, fervent musulman, tenant d’un islam plus pur au Sénégal.

Vendredi soir, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres s’est dit "très préoccupé" et a appelé "à éviter une escalade". "Les manifestations doivent rester pacifiques et les forces de sécurité et de police doivent […] permettre à ces manifestants d’exprimer leur opinion et volonté", a réclamé le porte-parole de M. Guterres, Stéphane Dujarric.

La France et les médias visés

Jeudi soir, des manifestants ont attaqué les locaux du quotidien le Soleil et de la radio RFM, jugés proches du pouvoir. Nombre d’enseignes françaises ont été attaquées, la France étant volontiers considérée comme soutenant le président Sall. Les écoles françaises dans le pays ont fermé, tout comme l’agence d’Air France.

La garde à vue d’Ousmane Sonko doit s’achever dimanche. Il sera présenté à nouveau au juge lundi, selon ses avocats.

Ousmane Sonko a été arrêté officiellement pour trouble à l’ordre public, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d’un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos.

Ousmane Sonko, qui réfute ces accusations, fait l’objet d’une "tentative de liquidation aux fins d’élimination d’un adversaire politique", a dénoncé l’un de ses avocats, Abdoulaye Tall. Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président Sall pour l’écarter de la prochaine présidentielle. Ousmane Sall a démenti fin février, mais gardé le silence depuis sur l’affaire.

Des restrictions sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie, affectant le partage de photos et de vidéos, ont été relevées. Les autorités ont par ailleurs suspendu jeudi deux chaînes de TV coupables selon elles de diffuser "en boucle" des images de violence.

"Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression", a demandé Amnesty International.

Reporters Sans Frontières a condamné une "vague de violations de liberté de la presse inédite ces dernières années dans ce pays d’Afrique de l’Ouest".

Sénégal : 4 morts suite à des émeutes

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