Dans ce témoignage, Céline Nieuwenhuys commence par expliquer comment elle a été contactée par Sophie Wilmès (alors Première ministre). Elle raconte la précipitation dans laquelle elle a dû décider de faire partie ou non du groupe d’experts : "[…] Je ne savais pas s’ils avaient proposé à d’autres personnes ou s’ils avaient d’autres alternatives. Je me suis dit qu’il fallait que je fonce".
Le décalage
Elle témoigne d’un décalage entre les rapports des experts et les attentes des ministres : " […] Les questions des ministres étaient totalement décalées […]. Chaque ministre arrivait avec ses questions et je ne suis pas certaine qu’ils avaient lu nos rapports. Leurs préoccupations étaient liées à leur entourage, aux pressions qu’ils avaient, au lobby qui était là derrière. C’était presque sans aucune décence de demander quand on pourra rouvrir Francorchamps ou quand les courses hippiques allaient pouvoir reprendre ou les parcs d’attractions. On était totalement décalés parce que nous étions totalement concentrés sur les points liés à la santé et sur la population et eux étaient concentrés sur les groupes de pression et les lobbies. Et c’était sans emballage".
Céline Nieuwenhuys déplore aussi la communication du Conseil national de sécurité de l’époque : "[…] À aucun moment on évoque la difficulté de ce confinement pour toutes les personnes précarisées. Qu’au moins, si le gouvernement n’annonce rien, nommer qu’il prend la mesure de ce que c’est que de vivre dans un 30 mètres carrés. Qu’il prend la mesure de ce que c’est que de rester derrière la caisse du supermarché. Qu’il prend la mesure de ce que c’est que d’être sur le terrain quand on est mal équipé et qu’on a peur pour sa santé. Et rien".
Économie vs social
On (re)découvre la confrontation entre les experts de l’économie et ceux de la santé et le peu de place laissé au social. Céline Nieuwenhuys explique comment les experts économiques l’accusaient d’avoir un agenda politique : "[…] Il n’y a pas de place pour parler de toutes ces personnes (précarisées), parce que quand on parle de la pauvreté on est dans de la politique […]". Argument qu’elle retournera aux économistes.
Une confrontation permanente entre les idées économiques, sanitaires et sociales qui la pousse à envisager de se retirer du GEES. "[…] C’est toute ma crédibilité qui était en jeu. C’est comme pour Johnny Thijs (le représentant des patrons), si au bout de trois semaines, il n’a pas de résultats pour l’économie, imaginez sa crédibilité auprès des patrons. On va se demander ce qu’il fout autour de cette table. J’ai dit à la Première ministre que pour moi c’était la même chose. Ça faisait trois semaines que j’étais autour de la table et à aucun moment la population n’a pu ressentir qu’il y avait les enjeux du social et de la santé mentale dans les rapports et que le groupe d’experts les portait de manière solidaire à bout de bras. Et donc, j’ai dit à Sophie Wilmès que j’allais devoir parler. J’ai ressenti qu’il fallait que la population sache qu’on pensait à toutes leurs préoccupations dans les rapports […]".
Céline Nieuwenhuys décide alors de s’ouvrir à la presse " […] Ce qui a permis d’avoir un peu plus d’attention de la part du gouvernement sur les points social et de santé mentale […]". Ses déclarations dans la presse créent des tensions et rajoutent une couche de fatigue. "Ça en rajoute une couche à la fatigue mais tant que l’adrénaline est là on tient".
Impact sur la vie privée
La Secrétaire générale de la Fédération des services sociaux ajoute que son expérience au sein du GEES l’a marquée au niveau privé. Elle raconte la difficulté de son rôle et l’impact sur sa santé mentale et sa vie personnelle : "J’étais devenue incapable d’écouter les gens. À la fois à cause de la fatigue et aussi parce que j’estimais que les gens n’allaient pas suffisamment vite à l’essentiel et parce que tout me semblait être un détail par rapport à l’enjeu de qui était devant moi".
L’argent reste maître
Elle tire enfin le bilan de son expérience au sein du GEES : "Je savais qu’on était dans une société où l’argent est maître, où c’est le capital, la productivité qui fait avancer le pays et qui décide presque à la place du politique. Je le savais théoriquement, Je l’avais lu et étudié et là je l’ai vu de mes propres yeux. Je l’ai senti, je l’ai observé et j’en ai été bouche bée que ce soit si réel, si vrai et que le pognon était maître pour les ministres du fédéral. Parfois même au prix de la santé".
À quand le changement ?
Nous avons contacté Céline Nieuwenhuys qui tient à rappeler que son témoignage concerne les réunions du GEES du premier semestre de 2020 et non pas les réunions d’aujourd’hui. Une situation différente à une époque différente et des interlocuteurs différents.
Elle insiste cependant sur un point : "Quand on regarde la situation aujourd’hui, il faut se rendre compte qu’on est face à un virus qui nous dit de déplacer nos cadres et d’agir. Et pourtant rien ne se passe. Quand entamera-t-on le changement ? Actuellement on n’imprègne pas dans la population les raisons pour lesquelles nous sommes arrivés là. Il n’y a pas de réflexion. C’est inquiétant. Tout le monde continue de défendre son petit bout de steak. Que ce soit les politiques, les experts et même la population tombent dans les mêmes travers. Rien ne change et c’est inquiétant".