Chroniques

Coronavirus et déconfinement : entre un débat qui n’a pas lieu d’être et un débat qui n’existe pas

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Par Himad Messoudi

Une semaine annonciatrice d’un comité de concertation (codeco), c’est habituellement la même histoire : des acteurs politiques placent telle ou telle priorité, le plus souvent liée aux compétences ministérielles des partis, bien entendu. Des propositions basées sur pas grand-chose, voire rien, vu qu’à l’heure actuelle, les discussions n’ont pas débuté dans les cénacles les plus pertinents. C’est souvent le Mouvement réformateur qui est à la manœuvre, le ministre de la Santé ne veut pas, on discute par médias interposés, jusqu’aux décisions de vendredi.

Cette semaine, c’est différent. Ça a déjà commencé ce week-end, par un parti, Ecolo, qui n’a pas l’habitude de monter dans les tours avant les codeco. Samedi, le coprésident Jean-Marc Nollet demande un élargissement de la bulle, et qu’on envisage, entre autres, une réouverture des restaurants avec terrasse. Le bourgmestre ixellois Christos Doulkeridis renchérit le dimanche, et ce matin, c’est la coprésidente Rajae Maouane qui parle d’un passage d’une gestion de crise à une gestion du risque. Cette offensive d’Ecolo est étonnante. C’est habituellement le MR de Georges-Louis Bouchez qui est le plus offensif pour rouvrir. Le Montois n’a pas traîné d’ailleurs, dimanche pour réagir, avec un très long communiqué envoyé aux rédactions.

Et comme souvent, le ministre de la Santé a déjà mis le holà à toute cette excitation, qui avait débuté, en fait, pendant les vacances de carnaval. Pour Frank Vandenbroucke, ce n’est pas le moment, il faudrait attendre au moins trois semaines, selon lui.

Un débat qui n’a pas lieu d’être…

Reste que le débat politique va très certainement exister toute cette semaine. Mais si vous jetez un œil, froid j’en conviens, aux chiffres, on pourrait penser que le débat n’a pas lieu d’être, en tout cas d’un point de vue strictement sanitaire. Prenons, par exemple, la culture. La ministre Ecolo Bénédicte Linard dit : "La situation sanitaire permet une reprise progressive de la culture".

L’an dernier, les activités culturelles avec public ont repris le 1er juillet. C’est très simple de retrouver, sur le web, le rapport Sciensano de jour là : on y lit qu’il y avait 84 cas confirmés COVID et 15 admissions à l’hôpital. Ce matin, il y a plus de 2000 cas confirmés et quasi 120 admissions, je vous laisse faire le ratio.

Frank Vandenbroucke va certainement, à nouveau, apparaître comme "le grand méchant confineur", mais la remontée des chiffres qu’on observe depuis plusieurs jours est réelle, alors même que le nombre de tests est en baisse. Et chaque jour qui passe avec des chiffres a priori en hausse va renforcer la position de ministre fédéral de la Santé…

Ce vendredi, on peut néanmoins s’attendre à la réouverture des frontières, suite aux pressions de la Commission européenne. On verra, tout de même, les conditions de cette réouverture. Et puis les autres métiers de contact vont aussi rouvrir au 1er mars : les instituts de beauté, de manucure, les salons de massages, de tatouage. On peut d’ailleurs penser que ces réouvertures, déjà avalisées, pourraient peser sur les décisions de vendredi. Pour le reste, on va sagement attendre vendredi, enfin, si le débat politique le permet…

... Et un débat qui n’existe pas

Vous vous souvenez, l’an dernier, on disait qu’il fallait aplatir la courbe. La stratégie "zéro covid", elle, veut écraser la courbe. La stratégie "zéro covid" ne veut pas apprendre à vivre avec le risque, elle veut écarter le risque.

Et pour ça, il faut passer par une stratégie beaucoup plus agressive, avec un confinement très strict de plusieurs semaines, puis une attention très forte à la moindre apparition de cas. Auckland en Nouvelle-Zélande l’a vécu il y a une semaine tout juste : trois cas ont été découverts et la ville a été totalement confinée pendant trois jours. Cette stratégie a été appliquée avec succès en Asie, en Océanie.

Et chez nous ? Personne n’en parle, même chose en France, jusqu’à la semaine dernière. En Allemagne, le débat a été lancé par une partie de la gauche, sans succès pour le moment. Pourtant, tout était parti de la grande star des épidémiologistes, l’Allemand Christian Drosten et d’un texte qu’il a cosigné dans la revue scientifique The Lancet, et qui appelait l’Europe à prendre des mesures beaucoup plus fortes.

Et parmi les signataires, on retrouve des Belges, par exemple Emmanuel André, Marius Gilbert, Herman Goossens, Erika Vlieghe. Beaucoup d’experts très influents. Et pourtant, cette stratégie "zéro covid" n’a jamais été abordée au niveau politique. Comme partout ailleurs en Europe, d’ailleurs, ce n’est pas une particularité belge. Mais on doit s’interroger : pourquoi n’ose-t-on même pas en discuter dans cette partie-ci du globe ? La réponse à cette question dira beaucoup sur nos échecs dans la gestion de cette pandémie.

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