Les Grenades

In Virginie Pierre We Trust, la force des abeilles

 In Virginie Pierre We Trust

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Par Jehanne Bergé

Dans cette nouvelle série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Pourquoi We Trust ? Parce qu’elles ont suivi leur passion, elles y ont cru. Et nous aussi. Des femmes de caractère qui déconstruisent les stéréotypes à leur manière… Premier épisode consacré Virginie Pierre, une histoire de miel tout sauf mielleuse.

Virginie Pierre est une voyageuse, une aventureuse, une entrepreneure et ce, depuis toujours. De l’est de la Turquie, à la Guinée, en passant par la Belgique, elle s’est laissée guidée par les abeilles, libres et travailleuses. Nous l'avons rencontrée.

"C’est en respirant le parfum d’une rose que j’ai rencontré une abeille, nous partagions la même passion pour cette fleur, elle pour son nectar, moi pour son parfum, ça a dû créer un lien entre nous…", confie-t-elle.

Un lien qui l’emmènera aux autres coins du monde… Virginie Pierre se présente comme celle qui n’a peur de rien. Discuter avec elle, c’est voyager, se rappeler que tout est possible et se sentir pousser des ailes, des ailes d’abeilles. Pour suivre le fil de son existence trépidante commençons par le début.

C’est en Turquie, où elle organisait des voyages dédiés aux femmes, et où le miel est une religion, qu’elle fait la rencontre un apiculteur nomade. "C’était incroyable, il transportait son rucher et suivait les saisons. J’ai été dans les montagnes avec lui pour installer les ruches. En les observant, j’ai réalisé à quel point les abeilles étaient quand même de sacrés phénomènes. Mais à cette époque-là, je n’avais pas encore conscience que sans abeille, il n’y avait plus de nourriture parce que sans pollinisation, les arbres n’ont plus de fruits."

 In Virginie Pierre We Trust
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Les ruches kényanes

Après avoir vécu en Égypte, en Algérie, installé des ruches ici et là, cette féministe engagée et revendiquée devient ensuite manager de réseau de femmes cheffes d’entreprises. Dans ce cadre, il y a six ans, elle part pour une mission en Guinée comme experte en entreprenariat féminin en zone rurale. Dès que l’avion atterrit à Conakry, elle se sent particulièrement bien. "On m’a dit ‘bon arrivée tanti’. J’ai été prise d’une joie, ça me convenait bien ce chaos, j’aimais bien l’humanité palpable."

En les observant, j’ai réalisé à quel point les abeilles étaient de sacrés phénomènes

Là-bas, dans les montagnes, elle découvre "des immenses roches à la Jurassic Park, des arbres comme je n’avais jamais vu ça, des feuilles comme des camions." En discutant avec les femmes, elle échange des savoirs. C’est le coup de cœur. Et puis, vient l’heure du grand retour en Belgique. "Je n’avais pas envie de renter. Je me suis dit ‘je ne saurais plus.’"

Elle quitte le plat pays. Elle trouve une maison libre dans les montagnes de Dalaba. "J’ai dit, ‘on la prend’. J’étais en extase dans le jardin." En septembre 2017, elle ouvre officiellement  Icones guesthouse Dalaba. "Comme il n’y avait que nous sur cette route qui rejoignait le Sénégal et le Mali, nos cinq chambres étaient quasi complètes tout le temps. Pour le reste, dans les pistes de développement local, j’avais identifié les fruits, les plantes médicinales, la valorisation de l’artisanat local et l’apiculture évidement."


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Les abeilles, son amour de toujours…. Ni une, ni deux, elle installe ses trois premières ruches dans le jardin, des ruches kényanes qui offrent un espace très proche de l'habitat naturel des abeilles qui sont libres de construire leur ruche comme elles l'entendent. 

"J’ai rencontré les apiculteurs locaux, hélas, ils utilisaient le feu et détruisaient tout [NDLR, l'apiculture traditionnelle consiste à déloger les abeilles avec du feu, ce qui entraîne souvent des feux de brousse et la déforestation]. J’ai essayé de les convaincre de récolter le miel sans brûler. Depuis que j’étais là, j’essayais aussi de convaincre les gens d’arrêter de pulvériser des produits chimiques. Je me suis dit ‘la solution, ce sont les abeilles, si j’arrive à persuader les femmes maraîchères que les abeilles augmente la pollinisation, donc la rentabilité des cultures, elles ne pulvériseront plus de produits chimiques…’ "

La Guinée, le miel et les abeilles

Elle commence avec ses trois ruches, et travaille avec un voisin (c’est-à-dire quelqu’un qui habite à 12 km !) qui avait été formé par la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). "J’ai discuté avec les femmes, soi-disant elles ne récoltaient pas le miel et se contentaient de le vendre, mais ce n’était pas vrai. On a décidé de faire faire les ruches et de les donner aux femmes pour qu’elles les mettent dans leur jardin. On a fait un plan de développement pour créer une zone free chimique."

Et c’est ainsi qu’en 2018, elle lance le programme "Cueilleuses de Miel", pour promouvoir une apiculture intuitive et naturelle au cœur du Fouta Djallon en Guinée. 50 ruches kényanes sont confiées aux femmes maraîchères dans les montagnes. Les produits de la ruche sont valorisés localement et sont à la base d’une petite gamme de soins, baumes, élixirs, propolis et miel…

À travers ce projet, Virginie Pierre espère alors contribuer à leur autonomie financière, à l’éducation des enfants, et à la préservation d’un écosystème fragile bien qu’extraordinaire.

"J’étais très heureuse, mais tout n’était pas rose. Il y avait le paludisme qui continue de faire des milliers de morts, les voleurs, les feux de brousse. Malgré tout, moi, je planais dans mon jardin avec les abeilles."

Pendant plusieurs années, les affaires roulent, toute une gamme de produits est développée : miel, confiture, savon. Sans oublier l’artisanat : les paniers et les pots. Et puis, les revenus de la guest house. "Grâce à l’argent des réservations, on était prêts pour installer une miellerie."

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Les ascenseurs émotionnels

Début mars 2020, elle est sélectionnée pour la fondation Yves RocherElle reçoit le prix coup de cœur du jury. "J’étais heureuse, je me sentais la reine du monde, j’avais monté mon projet improbable, ça marchait, je payais les salaires des femmes, l’éducation des enfants, mes charges, les études de ma fille..."

Après un bref passage en Belgique, elle repart en Guinée. Le lendemain, c’est le début du confinement.

Tant bien que mal, Virginie arrive jusqu’à sa maison sur les hauteurs. Et là, catastrophe, tout est fermé. Evidemment, toutes les réservations sont annulées. "Il n’y avait plus de carburant, plus de courant, plus de réseau téléphonique. Mon mari et ma fille en Belgique flippaient parce que les frontières étaient fermées. Moi, je m’occupais des poules, des chèvres, des ruches…"

Je pense que ce sont les abeilles qui m’élèvent…
 

Malgré la crise, elle continue à produire des confitures, à s’organiser vaille que vaille. "Grace à ça, on a pu payer les salaires et puis on a eu une super bonne récolte de miel. J’avais l’esprit entrepreneurial, on s’en est sorti." La situation politique se dégrade, elle finit par rentrer en Belgique.


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De Enghien à Dalaba, urgence et solidarité

"Je suis revenue, mais si je suis réaliste, je ne suis pas certaine que je pourrai retourner à Dalaba chez moi et je ne sais pas ce que je vais retrouver si j’y retourne. Mais je ne peux pas m’arrêter, j’ai la maison, les salaires des femmes à payer, il y a une trentaine de familles qui vivent grâce à tous les projets… Il faut que je trouve de sous."

La situation à Dalaba s’est encore dégradée puisque ces derniers jours, des cas d’infection au virus Ebola sont réapparus en République démocratique du Congo et en Guinée. Entre 2013 et 2016, plus de 11.000 personnes sont mortes lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, qui a débuté en Guinée. L’urgence, dans l’immédiat, est de maîtriser tous les risques de nouvelles propagations.

"C’est la consternation. Il faut protéger et soutenir les gens sur place." Et comme à chaque fois, le miel apporte une piste de solution ! "Ici, un ami apiculteur avec qui je collabore depuis des années m’a donné 250 kilos de miel à vendre. Il m’a dit : ‘Comme ça, t’auras de l’argent à envoyer" Alors, elle est allée dans son rucher à Enghien pour mettre ce miel solidaire en pot. Du miel wallon au profit des femmes de Guinée.

Livraison de pots de miel en Belgique, appels en Guinée auprès de ses proches, organisation de la prochaine récolte à Dalaba, la femme abeille n’arrête pas.

Avant de nous quitter, Virginie Pierre murmure, "au fait, je ne me définis pas comme apicultrice, je pense que ce sont les abeilles qui m’élèvent…"

Pour découvrir le projet de ce miel solidaire, par ici.


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