Au Kosovo, des législatives anticipées pour tourner la page

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Par Simon Rico, correspondant dans les Balkans

En pleine pandémie et après l'inculpation pour crimes de guerre de plusieurs anciens gradés de la guérilla albanaise, dont le président Hashim Thaçi, c'est une campagne électorale particulière qui s'achève au Kosovo. Donné très largement favori du scrutin du 14 février, le dirigeant de gauche souverainiste Albin Kurti veut redonner espoir à son peuple.

Le peuple sait déjà pour qui il va voter. " Début janvier, à peine la campagne avait-elle commencé, qu'Albin Kurti montrait déjà les muscles. Éphémère Premier ministre l'an dernier, le chef historique de Vetëvendosje (Autodétermination) est cette fois bien décidé à rester longtemps au pouvoir. D'autant que sa rocambolesque destitution aura surtout eu pour effet de renforcer encore un peu plus son aura auprès d'une jeunesse lassée des éternelles combines politiciennes.

Le 25 mars 2020, Albin Kurti avait été renversé par son propre partenaire de coalition, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK, centre-droit), sous la pression directe de l'administration Trump. Mais fin décembre, la Cour constitutionnelle a finalement invalidé la fragile coalition bricolée par la LDK pour lui succéder.  Seize mois à peine après le scrutin d'octobre 2019, déjà anticipé, de nouvelles législatives ont donc dû être convoquées à la hâte, malgré la puissante deuxième vague de covid-19. Les élections parlementaires de dimanche seront les huitièmes depuis la fin de la guerre, il y a deux décennies, preuve de l'instabilité chronique du plus jeune État européen.

 

Futur Premier ministre, mais pas député 

Pour s'assurer d'une très large victoire, le leader de gauche souverainiste n'a pas hésité à s'allier avec son ancienne adversaire de 2019, l'actuelle cheffe d'État par intérim, la centriste Vjosa Osmani. " Ce qui préoccupe les électeurs, c’est moins l’idéologie que l’incorruptibilité de leurs dirigeants ", justifie en retour celle qui a rompu avec la LDK à cause de ses magouilles contre Albin Kurti. En espérant que ce ralliement lui assurera le poste de présidente, dont l'élection doit avoir lieu au printemps.

D'après les sondages, leur liste commune est assurée de l'emporter, très largement, avec un score qui pourrait même dépasser les 50% des voix. Loin derrière, la LDK, emmenée par le Premier ministre sortant Avdullah Hoti, est donnée au coude-à-coude avec son rival de toujours, le Parti démocratique du Kosovo, la grande formation issue de l'UÇK, la guérilla albanaise.

S'il fait peu de toute que le chef historique de Vetëvendosje (VV) devienne le prochain Premier ministre du Kosovo, ce sera sans avoir pu lui-même se porter candidat à la députation. En cause, une décision de justice qui interdit à toute personne " ayant fait l’objet une condamnation définitive pour une infraction pénale au cours des trois dernières années " de se présenter aux élections. Or, début 2018, Albin Kurti a été reconnu coupable d’avoir lancé des gaz lacrymogènes dans l’enceinte du Parlement durant la crise politique de l’automne 2015.

 

Des élections de " rupture "

Ces élections sont perçues comme un point de rupture entre deux époques ", explique Visar Ymeri, de l’Institut Musine Kokalari. Celle, finissante, de la vieille garde de l'UÇK, minée par les scandales de corruption et les soupçons de crimes de guerre, et celle du renouveau, de la jeunesse, incarnée par Vetëvendosje. Dans un Kosovo où plus de 40% de la population a moins de 25 ans, le vote des plus jeunes promet d'être décisif. Et le ticket Kurti-Osmani devrait faire le plein de voix parmi cette génération.

Les défis du prochain exécutif promettent en tout cas d'être difficiles à relever : lutte contre la pandémie, redressement économique et normalisation des relations avec la Serbie. Ce dernier objectif paraît d'autant plus incertain qu'Albin Kurti réclame une politique de réciprocité vis-à-vis de Belgrade qui ne plaît guère au régime d'Aleksandar Vučić.

Ces dernières années, les gouvernements menés par la LDK et le PDK s'étaient montrés bien plus conciliants, acceptant même de se plier au très controversé projet de rectification frontalière à base ethnique pour parvenir à un " accord définitif " avec la Serbie et obtenir, enfin, la reconnaissance de l'indépendance. Albin Kurti a d'ores et déjà prévenu que son futur gouvernement renégocierait tous les accords conclus par le gouvernement précédent, dont celui de " normalisation économique " conclu avec Belgrade début septembre 2020 sous l'égide de Donald Trump. Reste enfin à savoir de quel soutien international son exécutif bénéficiera, lui qui insiste pour moins d'ingérence dans les affaires intérieures du Kosovo. Une chose est en tout cas certaine, ni l'UE ni les États-Unis ne veulent voir Pristina replonger dans une énième crise politique.

 

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