Economie

GameStop: Comment une horde d'investisseurs individuels a fait plier des grands fonds spéculatifs

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Par Maxime Paquay

C’est l’histoire qui agite les marchés boursiers depuis plusieurs jours. Des particuliers ont fait perdre des milliards de dollars à des professionnels de la finance. Au centre de cette histoire – une rixe boursière détonante : GameStop, un distributeur de jeux vidéo, dont l’action a gagné jusqu’à 1700% en quelques semaines. La "révolte" des petits porteurs pourrait bien être de courte durée. Explications.

GameStop ou encore ?

GameStop, basé au Texas, est un réseau de magasins physiques, à l’ancienne, qui vendent des jeux vidéo. A l’ancienne, parce que l’essor des ventes de jeux en ligne, les plateformes de gaming, et l’ensemble des bouleversements à l’œuvre sur le marché du jeu vidéo, sont sans appel : GameStop est déficitaire depuis plusieurs années.

Les points de vente fermaient les uns après les autres (plus de 780 en deux ans). En cinq ans, GameStop, côté à la Bourse de New York, a perdu quasiment 95% de sa valeur. Mais ça, c’était juste avant la bagarre boursière qui a culminé il y a deux jours.

La bagarre en Bourse

Sur le ring, d’un côté, de grands fonds d’investissement (dont en premier lieu Melvin Capital et Citron Research), qui tenaient vis-à-vis du vendeur de jeux vidéo, des positions de vente à découvert. C’est-à-dire que ces fonds avaient emprunté et promis de vendre des actions GameStop, plus tard. En misant sur une baisse de l’action, en espérant pouvoir empocher la différence.

Pour faire court sur la vente à découvert, ces fonds misaient sur une baisse continue de l’action GameStop – en raison justement de ses difficultés financières.

La passion de la révolte

En face, des "boursicoteurs", des passionnés de l’enseigne Gamestop, et/ou des particuliers furieux que des professionnels de la finance puissent miser sur la déroute d’une entreprise, qui se sont mis en tête de donner tort aux fonds d’investissement.

Nous avons ici affaire à une sorte de cartel, constitué de petits boursicoteurs.

Présents entre autres sur WallStreetBets, un groupe (à désormais 5 millions de membres) du réseau social Reddit qui fait la une de l’actualité financière américaine depuis la fin de la semaine dernière pour sa croisade contre les spéculateurs de Wall Street. Des traders amateurs qui se sont groupés pour acheter massivement des actions Gamestop, et faire gonfler leur prix. C’est exactement ce qui s’est produit.

5 milliards de pertes pour les shorters

Moins de 20 dollars début janvier, plus de 300 dollars aujourd’hui. L’action GameStop a explosé, progressé de plus de 1600% en quelques semaines. Cela veut dire que ceux qui misaient sur une baisse de l’action en sont pour leurs frais. Poids lourds contre poids légers, le match a vite tourné à l'avantage des particuliers.

Ce qui s’est passé n’est pas nécessairement une bonne nouvelle.

Une estimation circule – provenant de chez S3 Partners : 5 milliards de dollars, au moins. Voilà ce qu’auraient perdu à ce stade les quelques grands acteurs de la finance qui pariaient sur les difficultés croissantes du vendeur de jeux vidéo. Les particuliers, les petits porteurs, dans le jargon, ont contrecarré, ont fait plier des groupes financiers bien établis, et leur ont fait au passage perdre pas mal d’argent – les ont contraints à un "short squeeze", dans le jargon.

Epopée chevaleresque ?

L’idée d’une épopée chevaleresque menée par de gentils traders amateurs rebelles, contre de grands méchants spéculateurs est tentante.
Une sorte de doigt d’honneur à la puissance financière de Wall Street. " C’est une situation ubuesque ", reconnaît Mickaël Petitjean, professeur de finance à l’Iesseg et l’UCLouvain. " C’est un peu la première fois que l’on voit des petits porteurs qui arrivent à contrecarrer des grands acteurs comme ceux-là. "

"Pas une bonne nouvelle"

Mais pour la vision romancée du David contre Goliath, on repassera. Notamment parce que la vente à découvert, miser sur la baisse d’une action, c’est aussi un mécanisme qui permet de modérer les hausses parfois absurdes de certains titres financiers.

"Ce qui s’est passé n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, précisément parce que nous avons besoin de ces acteurs, les fonds d’investissement, pour ramener certains titres à des valorisations plus raisonnables. La vente à découvert, la possibilité de vendre des titres sans les posséder, est très utile dans les circonstances actuelles, un contexte haussier. Parce qu’il y a des titres sur le marché qui ont des valorisations très élevées, voire trop élevées. "

Un cartel n’est jamais éternel

Mais ce n’est pas tout : Est-ce que l’action GameSpot, avec le modèle économique de l’entreprise, vaut bien 300 dollars ? Sans doute pas. Combien de temps faudra-t-il avant que certains investisseurs particuliers commencent à revendre leur part dans GameStop – pour empocher leurs gains, tout en déclenchant un mouvement à la baisse pour l’action GameSpot ? C'est ce qui est, semble-t-il en train de se passer au moment de rédiger ces lignes.

Mickaël Petitjean a une réponse pour le moins imagée : " Nous avons ici affaire à une sorte de cartel, constitué de petits boursicoteurs. Et on sait que les cartels ne fonctionnent pas très bien sur le moyen terme. Il y aura toujours bien un passager clandestin qui va vouloir empocher ses gains plus vite que les autres. Maintenir très longtemps un cartel de ce type, est très difficile. "

La douloureuse chute

C’est d’ailleurs une question pour les autorités de surveillance américaine des marchés : n’y a-t-il pas ici eu collusion entre investisseurs pour manipuler le cours d’une action ? "Je suis persuadé que le gendarme boursier est en train d’examiner la chose de près", conclut Mickaël Petitjean.

La chute probable, à venir - ou en cours - de l’action GameStop – et la chute de l’histoire dans le même temps, pourrait être douloureuse. Avec au final de nombreux boursicoteurs, individus, passionnés, furieux, rebelles… Peu importe. Ils pourraient surtout devenir les perdants de cette prétendue épopée boursière.

OK, Boomer ?

Le mouvement amorcé est-il terminé pour autant? Rien n'est moins sûr. D'autres entreprises, nombreuses, sont désormais la "cible" de ces "révoltés de la Bourse". Pour l'instant, les actions ciblées - les plus "shortées", sont marginales. Rien à voir avec des titres systémiques en volume, comme des Apple, Amazon, ou Netflix - systémiques pour les marchés financiers américains, en tout cas. Mais...et si les traders amateurs prenaient possession de Wall Street? 

Il faudrait pour cela, une force de frappe financière largement supérieure à celle déployée pour "sauver" un groupe de retail du jeu vidéo, qui n'avait peut-être pas besoin de l'être.

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