Il y a dix ans, en janvier 2011, comme la Tunisie, l’Egypte et la Syrie, le Yémen est secoué par une série de manifestations populaires, lors des printemps arabes. Mais le Yémen est souvent présenté comme un cas à part. Pour quelles raisons ?
"D’abord, le Yémen est le pays arabe le plus pauvre", analyse François Frison Roche, chercheur au CNRS. "Et les yéménites qui descendent dans les rues en 2011 ne représentent qu’une partie de la population, plutôt éduquée, urbanisée. Ils réclament plus de démocratie, mais surtout ils veulent manger à leur faim, avoir de l’eau, de l’électricité et avoir accès aux soins de santé et à l’éduction… Ce sont des revendications concrètes qui passent bien avant le processus de démocratisation. Et contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, où Ben Ali et Moubarak sont respectivement chassés du pays ou évincés du pouvoir, au Yémen, ça se passe différemment".
Sous la pression de la communauté internationale, le président Ali Abdellah Saleh, au pouvoir depuis 34 ans, accepte de céder son poste à son vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi qui lui succède en 2012 pour une période de deux ans. Le temps d’une transition politique pour construire un nouvel ordre institutionnel, en vue de surmonter les divisions dans le pays.
Car dans ce contexte, parallèlement au mouvement populaire, les provinces du sud ont des aspirations autonomistes, les rebelles Houthies au Nord du pays, en conflit avec le pouvoir précédent, dénoncent les discriminations dont est victime leur Communauté chiite. Ils ont des revendications politiques et territoriales.
En restant actif, Saleh a largement saboté la Conférence de dialogue national
Mais au bout de deux ans, le processus de transition politique échoue. "En échange de céder son pouvoir, Ali Abdellah Saleh avait obtenu deux choses essentielles", explique encore François Frison Roche, "une immunité globale pour lui et son entourage. Et surtout la possibilité de revenir à Sanaa pour diriger son parti. Il est évident que la transition yéménite a été fortement contrainte par ce double avantage accordé à Saleh".
En janvier 2014, l'instance chargée du dialogue national préconise de transformer le pays en Etat fédéral composé de six provinces. Le projet prévoit que le gouvernorat de Saada, fief des rebelles chiites, soit intégré à un territoire plus vaste au sud. Mais les rebelles Houthies refusent : ils demandaient une région qui leur soit propre et un accès à la mer.
"En restant actif, Saleh a largement saboté la Conférence de dialogue national", ajoute François Frisonroche. "Et l’ONU qui avait la charge de piloter cette transition n’a pas tenu compte de ces fondamentaux yéménites. Cela a permis à Saleh de bénéficier d’un renversement d’alliances, avec l’aide des Houthies".
Dès septembre 2014, la rébellion houthiste prend le contrôle de Sanaa, la capitale, avec l’aide de militaires fidèles à l’ancien président Saleh, et très vite ils s’emparent d’une partie du pays. Le président Mansour Hadi est forcé à l’exil.
L’Arabie saoudite décide alors en 2015 d’intervenir militairement au Yémen. C’est comme ça qu’un conflit tribal, yéméno-yéménite devient un conflit international et régional. Ryad veut en fait combattre l’alliance chiite entre l’Iran et les rebelles houthies. Un récent rapport de l’ONU confirme que l’Iran leur a toujours apporté un soutien militaire.
Pas question que les Houthies d’obédience chiite, prennent le pouvoir
"L’Arabie Saoudite non seulement craignait que les Houthies, d’obédience chiite, et donc potentiellement des affidés de l’Iran, puissent prendre le pouvoir", analyse François Frisonroche, "mais en plus, il n’était pas question non plus de voir dans le sud de la péninsule arabique, un pays comme le Yémen appliquer des règles démocratiques, comme le suggérait l’ONU avec des quotas de femmes au parlement etc. Pas question que le pays puisse être ce mauvais exemple politique de la péninsule".
L’opération militaire sous l’égide de Ryad rassemble une coalition de pays sunnites, dont les Emirats-arabes-unis. Une résolution du conseil de sécurité de l’ONU appuie cette opération, tandis que les Etats-Unis fournissent une aide logistique et de renseignement à Ryad.
Mais depuis six ans, le conflit s’est enlisé et les fronts n’ont pas beaucoup bougé. Les rebelles Houthies contrôlent toujours de vastes zones du territoire, dont la capitale Sanna. Le mouvement sudiste a déclaré unilatéralement l’autonomie des provinces sous son contrôle. Les forces gouvernementales occupent Aden. Tandis que l’Arabie Saoudite ne semble pas savoir comment sortir de ce conflit.