L'Algérie, Vichy, l'attentat de l'Observatoire, les écoutes : les zones d'ombre de François Mitterrand

François Mitterrand, un président qui a marqué la cinquième république avec des zones d'ombre.

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Par RTBF

10 mai 2021, 10 mai 1981. Il y a 40 ans, François Mitterrand devenait président de la République française, le premier président socialiste de la cinquième république. Un moment politique historique célébré ces jours-ci par nos voisins français et notamment par la gauche.

François Mitterrand sera réélu en 1988 pour un nouveau mandat de sept ans. Mais celui que l'on surnommait "Tonton" ou "Dieu" n'incarne pas qu'une longévité au pouvoir et de nombreuses réformes (augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, libéralisation de l’audiovisuel, dépénalisation de l’homosexualité…), ce sont aussi des zones d’ombre bien avant son accession au pouvoir suprême. Des déclarations, des relations douteuses, des méthodes contestables qui surprennent au vu de l’héritage politique laissé par le Mitterrand président. Retour sur cinq périodes troubles.

  • L’Algérie française

Milieu des années 50, c’est l’insurrection en Algérie alors française. Le Front de libération nationale, qui réclame l’indépendance, multiplie les attentats. Les autorités à Paris restent fermes. Dont le ministre de l’Intérieur puis ministre de la Justice dès 1956, un certain François Mitterrand, 39 ans.

Celui qui se prononcera 35 ans plus tard contre la peine de mort (c’était sa "conscience profonde") veut à l’époque traduire les auteurs des délits en Algérie devant des tribunaux militaires plutôt que des tribunaux civils. Finalité : être plus sévère et plus expéditif. En 500 jours, le garde des Sceaux ne s’oppose pas à la guillotine pour 45 nationalistes algériens. Parmi ces condamnés à mort, Fernand Iveton, un militant du Parti communiste algérien exécuté le 11 février 1957.

Dans un article paru en 2001, Le Monde s’interroge aussi sur les silences de François Mitterrand vis-à-vis de la torture. Il est au courant, alerte Guy Mollet président du Conseil, sans plus. "Il est soupçonné de n’avoir quitté le gouvernement qu’à sa chute, en juin 1957, pour une forte raison : préserver ses chances d’être nommé président du Conseil", écrit le journal.

Dans "François Mitterrand et la guerre d’Algérie", un livre de l’historien spécialiste de l’Algérie Benjamin Stora et de François Malye, on peut lire : "Bien des années après l’indépendance de l’Algérie, lorsque la gauche commence sa marche inexorable vers le pouvoir, François Mitterrand explique, en 1977, que, s’il était resté au pouvoir, il aurait sans doute fini par donner l’indépendance à l’Algérie".

Le président socialiste est cité : "Nous avons échoué car le temps n’était pas venu. De Gaulle avait retardé l’heure mais fut présent au rendez-vous. Je n’essaierai pas d’avoir raison contre le calendrier. J’ajouterai seulement qu’on ne peut juger 1954 sur les données connues de 1977 et dire : 'Comment se fait-il que des hommes de gauche au pouvoir en 1954, comme Mendès ou Mitterrand, n’aient pas décrété tout de suite l’indépendance de l’Algérie ?'"

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  • Le faux attentat de l’Observatoire

Dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959, François Mitterrand est victime d’un attentat, à Paris. Il est en voiture, rue de l’Observatoire, lorsque soudain, il est visé par des tirs de pistolet-mitrailleur. Le sénateur de la Nièvre sort de sa Peugeot et va se cacher dans un jardin tout proche.

Qui a voulu attenter à sa vie ? Les soupçons s’orientent vers les partisans de l’Algérie française. La presse relate ce qui devient l’attentat de l’Observatoire et salue le courage de la victime.

Mais rebondissement quelques jours plus tard, un ancien député poujadiste Robert Pesquet affirme que cet attentat était une mise en scène, avec l’accord de François Mitterrand, dont le seul but était de lui permettre de regagner la sympathie de l’opinion publique. Ces affirmations seront corrigées à plusieurs reprises par le même Robert Pesquet des années plus tard.

C’est la stupéfaction ! Et le début des moqueries contre Mitterrand qui accuse Pesquet de diffamation. Le sénateur dit à ses proches avoir été victime d’un guet-apens et n’être au courant de rien. Si ce n’est qu’un certain Pesquet l’aurait prévenu à plusieurs reprises que des activistes d’extrême droite voulaient s’en prendre à sa personne et qu’il pouvait le protéger.

Mais ni enquêteurs et ni au juge, Mitterrand n’a rien dit de tout cela. Pour certains, il a voulu profiter des retombées du vrai faux attentat. Son immunité parlementaire sera levée et il sera inculpé d’outrage à magistrat.

Après l’affaire de l’Observatoire, suivra celle dite du bazooka dans laquelle il accréditera la thèse selon laquelle le gaulliste Michel Debré a fomenté un attentat contre le général putschiste Salan, en Algérie française. La gauche lui reproche cette proximité avec ce général honni par De Gaulle.

Mitterrand se relèvera de cette succession de polémiques, en 1965, lorsque, contre toute attente, il affrontera le général De Gaulle au deuxième tour de la présidentielle.

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  • René Bousquet et Vichy

Sous le régime collaborationniste de Vichy, René Bousquet, est secrétaire général de la police. Il va organiser, entre autres, les 16 et 17 juillet 1942 la rafle de 13.000 Juifs à Paris, la tristement célèbre "Rafle du Vel d’Hiv". La majorité d’entre eux seront exterminés à Auschwitz.

C’est un fonctionnaire zélé qui, étonnamment, dès les premières victoires alliées, va se rapprocher de certains membres de la résistance dont François Mitterrand. Il va le protéger et l’informer des actions de la Gestapo contre les résistants. Reste que le parcours avant et pendant le régime de Vichy du président socialiste reste flou et sujet à bien des interprétations.

Deux livres s’y sont attardés : Franz-Olivier Giesbert avec "François Mitterrand ou la tentation de l’histoire" et Pierre Péan avec "Une jeunesse française". On y apprend qu’en 1935, François Mitterrand participe à une manifestation xénophobe "contre l’invasion métèque" et la présence de médecins étrangers en France.

Sa proximité (par son frère) avec le mouvement d’extrême droite de La Cagoule dans les années 30 sera également questionnée.

Lorsque la guerre éclate, il est mobilisé. Il est fait prisonnier en Allemagne en 1940. Il s’évade. De retour en France, il occupe un poste de fonctionnaire. En 1942, il est reçu par le Maréchal Pétain, en atteste une photographie. En 1943, il reçoit la médaille de la Francisque, LA décoration du régime de Vichy. Il est parrainé par deux proches du maréchal, que Mitterrand admire.

Mais ce dernier finit par basculer dans la résistance. Il aide des prisonniers, passe dans la clandestinité et organise même un réseau.

De cette époque, il conservera une amitié pour René Bousquet, "celui qui lui aura sauvé la vie", qui fera partie du cercle proche même lorsque François Mitterrand sera à l’Elysée. Des figures du PS comme Lionel Jospin et Pierre Moscovici critiqueront cette proximité.

René Bousquet, qui fera carrière dans le monde des affaires, sera assassiné en 1993.

François Mitterrand refusera toujours de demander pardon pour les exactions commises sous Vichy. Son successeur Jacques Chirac aura une position différente, en témoigne la teneur de son discours commémorant la rafle du Vel d’Hiv en 1995.

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  • Les écoutes de l’Elysée

Entre 1983 et 1986, l’Elysée alors occupé par François Mitterrand procède à des écoutes téléphoniques en dehors de tout cadre légal. Sont ainsi espionnés des personnalités du monde des médias, de la culture, de la justice… Officiellement, il s’agit d’une cellule antiterroriste, dirigée par Christian Prouteau, gradé de la gendarmerie, fondateur du GIGN, en charge de la sécurité de l’Elysée.

Mais il s’agira en fait de protéger Mazarine, la fille que François Mitterrand, mariée à Danielle Gouze, a eu avec Anne Pingeot. Les écoutes ciblent notamment le sulfureux écrivain Jean-Edern Hallier qui prépare un livre dans lequel il s’apprête à révéler l’existence de Mazarine.

Vont aussi être écoutés l’écrivain Paul-Loup Sulitzer, l’actrice Carole Bouquet, l’avocat Jacques Vergès, des conseillers de Charles Pasqua ou encore le journaliste du Monde Edwy Plenel dont on cherche à déterminer les sources, lui qui révèle alors plusieurs scandales d’Etat (Rainbow Warrior).

Au total, 3000 conversations et 2000 personnalités seront écoutées. L’opération sera révélée par un journal d’extrême droite et Le Canard Enchaîné. Suivront un procès en première instance vingt ans plus tard (et un autre en appel) et plusieurs condamnations.

Cette affaire restera dans les annales en raison d’une séquence de la RTBF. En mars 1993, interrogé à ce sujet par Hugues Le Paige et Jean-François Bastin, François Mitterrand interrompt brutalement l’entretien et dénonce "un tel degré de vilenie" de la part de nos journalistes. "Il n’y a pas de service d’écoutes à l’Elysée, il ne peut pas y en avoir", ajoute-t-il avec fermeté.

Entretien avec François Mitterrand

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  • Mazarine Pingeot

Le numéro 2372 de Paris Match, du 10 novembre 1994 est historique. Pour la première fois, la photo volée d’un président de la République en exercice avec sa fille naturelle, issue d’une union hors mariage avec Anne Pingeot, fait la Une. L’existence de Mazarine, 20 ans, est révélée au grand jour, à quelques mois de la fin du mandat de François Mitterrand, qui ne cache plus cette réalité.

Le tout-Paris le savait déjà, dit-on à l’époque. Mais le grand public l’ignore. Le fantasque écrivain Jean-Edern Hallier, ennemi juré du président, n’avait donc pas tort.

Mais ce qui surprend, quelques années plus tard, ce sont les révélations sur la manière dont les moyens de l’Etat, et donc du contribuable, ont été utilisés pour la deuxième vie privée du premier des Français.

Il y a eu, on l’a dit, les affaires des écoutes de l’Elysée. Il y a eu également des frais engagés pour entretenir Anne Pingeot, dont le début de l’idylle remonte à 1963. Elle a 20 ans, lui 47. "Elle devient l’amante du dirigeant socialiste, qui n’envisage à aucun moment de quitter sa femme Danielle. Les amis des Mitterrand y voient une volonté de préserver sa carrière politique ou un attachement aux valeurs de la famille", suggère France Info.

Pendant les mandats présidentiels de Mitterrand, Anne Pingeot et sa fille auront droit à une protection policière, à un appartement… Il leur arrivera même d’accompagner François Mitterrand en voyages officiels, mais dans l’ombre. Bref, des pratiques impossibles à cautionner aujourd’hui, au nom de la transparence publique et de la bonne gouvernance.

Plusieurs ouvrages évoqueront cette relation dont "Lettres à Anne, 1962-1995" reprenant les courriers adressés par François Mitterrand à Anne Pingeot et "François Mitterrand, Portrait d’un ambigu" par Philip Short.

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