"Il y a un premier homme, qui était à vélo, qui s’est arrêté pour me dire comme j’étais jolie et qu’il aimerait bien passer la soirée avec moi. Il a ajouté à ses commentaires des bruits diversifiés comme on pourrait appeler un chien en faisant des petits bruits. Son regard et l’interpellation sont porteurs de sens désagréable. Et là, je l’ai regardé simplement, en levant les yeux au ciel, et en disant "non". J’ai continué ma route, je voulais juste vraiment trouver un banc. Et puis, j’avais à peine fait trois pas, qu’un groupe d’une dizaine de mecs ont produit une série de bruits. Et puis, un peu plus loin, il y avait deux hommes qui m’ont remarqué. L'un a alors dit à l’autre: "Mate un peu ce qui passe derrière!" L’homme à vélo a alors refait son apparition, en insistant, et il est resté à côté de moi, à me regarder. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire demi-tour et de rentrer chez moi. On se sent en désarroi total et désemparé. J’ai eu peur."
Il y a les classiques "Elle est bonne celle-là", "Eh, mademoiselle" ou "Et si je venais chez toi ?"…
"Il y a les classiques comme "Eh, mademoiselle ?", "Elle est bonne celle-là", "C’est quoi ton numéro de téléphone ?", "Tu veux que je te raccompagne chez toi ?", "Qu’est-ce que tu fais toute seule dans la rue ?", "Et si je venais avec toi ?", etc. Il y en a même, à 11 heures du matin, quand je pars à mon travail d’étudiant en traversant la rue Cathédrale. Ce ne sont pas que des jeunes. Ce sont aussi des adultes, des ouvriers. Là, c’est la première fois que je l’écrivais vraiment sur les réseaux pour en parler. Je crois que c’est assez violent le contraste entre ma motivation première de lire un livre sur les quais et mon sentiment de colère et de désarroi après les quelques interactions que j’avais eues sur quelques centaines de mètres."
Ce ne sont pas que des jeunes. Ce sont aussi des adultes.
Il n’y a pas que les paroles qui agressent : "C’est vraiment un tout. Les regards sont pesants, surtout quand on sent qu’ils sont à ricochet dans une bande et qu’on sent qu’il y a des commentaires qui sont faits. Les bruits sont très "animalisants" parce que ce sont des bruits comme on appellerait un chien, comme un sifflement ou "mmmhhh", comme quand on mange un bon plat de nourriture. Ben, non, ne fais pas "mmmhhh" comme quand tu manges un bon spaghetti ou une bonne frite. Je ne suis pas un plat de nourriture ! Je suis quelqu’un qui passe son chemin sur les quais et qui veut se détendre."
Une loi inefficace
Depuis 2014, il existe pourtant une loi contre le sexisme dans l’espace public. Mais une loi inefficace : d’après les derniers chiffres officiels de la police fédérale, à peine 55 cas de harcèlement de rue ont été dénoncés pour l’année 2018 en Belgique. Des chiffres ridiculement bas, qui sont loin de la réalité vécue au quotidien par les femmes. "Je ne me vois pas du tout rentrer dans un commissariat alors qu’on sait déjà comment ça se passe quand il y a des femmes qui viennent porter plainte de viol, pour aller me plaindre de quelques commentaires... Parce que finalement, il n’y a pas eu de geste grave. J’ai eu peur mais on ne m’a pas agressé physiquement. Il y a des choses plus graves qui se passent ; et c’est à cause de ça qu’on intériorise, qu’on encaisse alors qu’on ne devrait pas."
Dénoncer pour qu'aucune fille ne se dise encore "Ce n'est pas grave"
"Oui, nous devrions dénoncer ce genre de comportements, raconter ce genre "d’anecdotes", pour qu’aucune fille ne se dise encore "Ce n'est pas grave, il suffit que t’ignores et t’auras oublié demain..." Les hommes qui réagissent en manifestant leur soutien, leur dégoût partagé, leur désarroi, leur compréhension : merci !", conclut Laura sur Facebook.