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A la ferme, pas de confinement pour les agricultrices

A la ferme, pas de confinement pour les agricultrices

© Getty Images

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Par Jehanne Bergé

Le confinement a été annoncé en même temps que l’arrivée du printemps. Dans les champs, pas question de s’arrêter. Les agricultrices et agriculteurs mettent les bouchées doubles pour assurer la production et nourrir la population. Et si cette crise sanitaire était l’occasion de repenser notre alimentation ? Rencontre avec celles qui dans les étables comme aux champs, travaillent pour préserver notre système alimentaire.

Dans les fermes, c’est le temps des plantations et des récoltes, coronavirus ou pas, il faut travailler. "Quand le monde est à l'arrêt, la nature subsiste", #OnVousNourrit ; sur les réseaux sociaux, les actrices et acteurs du monde agricole se font entendre. Le secteur est en crise depuis de nombreuses années, une réalité parfois difficilement compréhensible pour les citadin.e.s déconnecté.es de la terre. Selon les chiffres de l’agriculture, entre 1980 et 2018, 68% des fermes ont disparu. La crise que nous traversons nous oblige à prendre conscience de l’importance d’un système alimentaire local et solide.

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Quand vie professionnelle et privée se confondent

Si on parle souvent d’agriculteurs, il ne faut pas oublier les femmes. L’Union des Agricultrices Wallonnes (UAW) assure la promotion et la défense des intérêts des agricultrices et des femmes vivant en milieu rural. Le but est de proposer aux femmes un statut social, juridique et économique digne des engagements qu’elles prennent dans les exploitations. L’UAW, c’est aussi un réseau basé sur la solidarité, l’amitié entre femmes qui partagent un même métier, un même milieu de vie, les mêmes préoccupations…

"En ce qui concerne les agricultrices, elles ont toujours eu leur métier sur place. Quelque part, elles étaient déjà un peu confinées, elles sont et vivent H24 avec leur compagnon ou leur mari sur le lieu de travail. La vie professionnelle et privée se confondent", explique la présidente de l’UWA, Geneviève Ligny.

Le confinement a malgré tout bouleversé leur quotidien. "Avec la situation actuelle, ce qui leur manque c’est le lien social qu’elles avaient, par exemple, en conduisant leurs enfants à l’école ou en faisant la vente de porte à porte. Les agricultrices avaient aussi des contacts en venant aux réunions organisées par l’UAW, c’était très précieux. A cause du confinement, elles se sentent plus seules. Alors on a mis en place cette campagne "Quand le monde est à l'arrêt, la nature subsiste", pour que chacune puisse dire ce qu’elle fait dans la ferme. La vie continue, il n’y a pas d’arrêt pour nous, mais, c’est important de pouvoir s’exprimer. On maintient ce lien par mail, messenger et téléphone aussi", continue la présidente.

En ce qui concerne les agricultrices, elles ont toujours eu leur métier sur place

Sur la page Facebook de l’UAW, les agricultrices racontent leur quotidien. La campagne permet aussi de visibiliser leur travail auprès du grand public. "On voit que les publications sont likées par des personnes qui ne sont pas du milieu. Ça nous met en contact avec le monde extérieur. Cette crise permet de reprendre conscience du bon sens d’une alimentation locale."

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Tou.te.s aux champs

La crise sanitaire bouscule, interroge mais bouleverse aussi les récoltes. Les agriculteurs et agricultrices wallon.ne.s sont confronté.e.s à la pénurie de saisonniers étrangers. En Belgique, 56.000 saisonniers viennent chaque année, essentiellement de Pologne, de Roumanie ou de Bulgarie. 

Suite à la fermeture des frontières, il est désormais impossible pour les nouveaux travailleurs saisonniers de venir en Belgique. Pour les remplacer des citoyen.ne.s proposent leur aide. Aux champs, la surprise est totale ! Une plateforme en ligne a été lancée pour créer "des matchs" entre volontaires et producteurs.

Des Belges ont entendu parler du manque de main d’œuvre et postulent spontanément parce qu’ils ou elles veulent aider

"La main d’œuvre de l’étranger ne peut pas passer les frontières. Pour l’instant, la Flandre est plus touchée parce que le travail dépend du type de culture. Nous, on a 8 personnes qui doivent arriver de Roumanie dans un mois, on espère qu’ils pourront passer. Des Belges ont entendu parler du manque de main d’œuvre et postulent spontanément parce qu’ils ou elles veulent aider. On n’a jamais eu ça avant", témoigne Caroline Devillers, gérante d’une exploitation agricole familiale.

Si cette crise fait réfléchir et revenir à l’essentiel, il ne faut pas oublier que chez nous, le statut social d’ouvrier agricole n’est pas bien rémunéré. "C’est un travail difficile. Il ne faut pas trop vite crier victoire, il faut voir comment ça se passe sur le terrain. Les métiers de l’agriculture sont loin de la vision bucolique et romantique qu’on pourrait se faire. Néanmoins, l’urgence se fait sentir. Normalement, on a de la marchandise jusque mi-avril mais début de semaine passée tout était parti. La demande a explosé début de la crise. Le circuit court est en plein boom. Des coopératives qui regroupent plusieurs producteurs comme Hesbicoop ou Paysans Artisans facilitent l’accès de nos produits aux consommateurs. On croise les doigts pour que l’engouement perdure après la crise", souligne-t-elle.

Même malades du Corona, on ne s’arrête pas

Claire* est fille d'agriculteurs, elle vit aujourd’hui à Bruxelles mais est retournée dans la ferme familiale pendant ce confinement.  Sur place, c’est sa mère et son petit frère qui font tourner l’exploitation. Son père s’est donné la mort il y a 5 ans. Derrière ce drame se cachent les multiples difficultés du métier et le système extrêmement complexe du monde de l’agriculture.

S'il n’existe pas de statistiques en Belgique, en France, en 2015, on dénombrait le suicide de 372 agriculteurs et agricultrices, soit plus de 1 par jour et de 233 salarié.e.s agricoles. La mère de la jeune femme qui a repris la ferme à la mort de son mari témoigne régulièrement des difficultés d’être une femme dans le milieu.

Elle explique : "Elle n’est pas bien perçue dans le monde des agriculteurs et des marchands parce que c’est une femme. Elle a un gros caractère, elle ne se laisse pas faire et beaucoup sont très machos. Aussi, à chaque fois qu’un homme vient à la ferme, il s’adresse à mon frère alors qu’il est tout jeune et il qu’il ne gère la ferme que depuis trois ans. Le quotidien des éleveurs est loin d’être rose et la crise sanitaire complique encore un peu plus la situation".

A la ferme, il est impossible de s'arrêter

"Ici, à la ferme, nous avons attrapé le coronavirus, on a tous perdu l’odorat et le goût et dans une ferme ça se remarque directement. Mon autre frère qui est infirmier urgentiste a été testé positif, nous n’avons pas été testés, mais on a eu tous les symptômes et ma mère encore plus puisqu’elle est plus âgée. Malgré tout, elle devait continuer à travailler. A la ferme, c’est impossible de s'arrêter. D’habitude, elle s’occupe de la ferme au moins 8 heures par jour, 7/7, là, elle faisait le minimum parce qu’elle n’était vraiment pas bien, environ une heure et demie le matin et le soir."  

Depuis trente ans, un système de remplacement agricole existe pour les producteurs qui sont malades mais dans ce milieu, il est plus facile de se faire aider par les enfants, les proches, les gens qui connaissent les lieux, le travail, le matériel. Le petit frère de Claire et un étudiant ouvrier ont pris le relais pour tenir cette grande exploitation de plus de 500 animaux. "Chaque soir je m'endors avec la boule au ventre de voir ma mère et mon frère galérer, pourtant si intelligents et si sensibles. Je ne connais aucun autre métier qui demande autant de temps, d'énergie, de complexité, d'investissement, de bon sens", indique Claire.

Si du côté des cultures la demande explose, au niveau de la viande, la situation est plus complexe. Avec l’arrêt des cantines scolaires et la fermeture des restaurants, la demande diminue. Pour l’heure, la maman de Claire a de moins en moins de symptômes. Elle a battu le coronavirus mais les difficultés du monde agricole, elles, sont loin d’être terminées.

*Le prénom a été modifié.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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