Coronavirus : les soignants en première ligne sont-ils assez bien protégés ?

Coronavirus : les soignants en première ligne sont-ils assez bien protégés ?

© KENZO TRIBOUILLARD - AFP

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Par Adeline Louvigny avec A. Fogli

Jean-François Moreau est médecin généraliste, et il y a peu, il a effectué une garde dans un poste de tri des hôpitaux. C’est un lieu tampon, où sont identifiées les personnes potentiellement porteuses du coronavirus, afin d’éviter d’engorger inutilement les hôpitaux. Les médecins doivent donc examiner le patient, avec une certaine proximité. Pour se protéger du virus, François Moreau a porté l’équipement recommandé : masque chirurgical, blouse et gants. Trois jours plus tard, ce médecin généraliste contracte le coronavirus, et s’interroge donc, cet équipement est-il adéquat ? Le masque chirurgical est-il suffisant pour ces soignants de première ligne ?

Hôpitaux : le personnel soignant en première ligne

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La polémique autour du port des masques dans cette épidémie inédite n’est pas neuve. Car, alors que le virus faisait son arrivée en Europe fin février, s’abattant dramatiquement en premier sur l’Italie (qui compte à ce jour plus de 10.000 morts et 90.000 cas), force est de constater que le continent n’était pas du tout préparé. L’illustration parfaite de ce manque de prévoyance est la pénurie de masque auxquels nos pays européens (mais pas qu’eux) font actuellement face.

Alors qu’en Asie, de nombreux pays ont pu imposer le port du masque chirurgical (ou en tissu) à l’ensemble de la population, l’Europe, elle, pleure après ces masques, et se retrouve à devoir demander aux citoyens lambda de laisser ces masques aux personnes potentiellement en contact avec le coronavirus, et au personnel soignant, de "rationaliser" l’utilisation de ces masques. De nombreux témoignages d’infirmier.ères et médecins, autant dans les hôpitaux qu’à domicile, font état d’un manque criant de masque, mettant le personnel soignant en danger. "Ils nous envoient en première ligne, mais sans nous donner les armes".

Impossible donc de suivre l’exemple des pays asiatiques, alors que le port du masque chirurgical est une barrière supplémentaire face à la propagation du coronavirus, aux côtés des mesures de confinement et de la distanciation sociale.

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Masque chirurgical, ou FFP ?

Mais si la population belge peut essayer de pallier la pénurie de masque chirurgical en confectionnant soi-même des masques en tissu (ce qui est hautement recommandé), pour le personnel soignant, la problématique est toute autre. La question est de savoir qui doit porter les masques FFP, ces fameux masques qui filtrent également les particules aériennes, et donc empêchent totalement le passage du coronavirus.

Les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé sont les suivantes :

Les masques chirurgicaux, qui retiennent les gouttelettes émises par le porteur sont réservés

  • aux personnes infectées par le COVID-19
  • au personnel soignant en contact avec des patients COVID-19 possibles ou confirmés, dans les centres de triage, lors des soins de première ligne ou à domicile, en maison de repos et de soins, centres de revalidation, prisons, etc. ou qui réalise tout transport de patient non-infecté au COVID-19
  • lors de la manipulation par le personnel des morgues et employés des pompes funèbres d’un patient COVID-19 possible ou confirmé décédé

Les masques FFP1/2/3

  • sont utilisés quand il y a contact direct avec les patient COVID-19 possibles ou confirmés
  • concernant les FFP2 et FFP3 (qui filtrent des particules plus petites que les FFP1), ils sont recommandés pour les patients infectés lors de la réalisation d’actes médicaux très aérosolisants, donc où le patient va émettre beaucoup particules dans l’air, dont le virus.

(Étonnamment, le CSS permet l’utilisation du FFP1 alors que celui-ci n’a pas les capacités filtrantes nécessaires pour retenir le SARS-CoV-2 — c’est le petit nom du virus responsable de COVID-19)

Une logique qui n’est pas uniquement sanitaire

On remarque tout de suite une certaine incongruité : la seule différence entre le port de ces types deux masques est le mot "direct". La logique du CSS voudrait donc qu’un médecin dans un centre de triage, qui doit examiner un patient potentiellement infecté, n’est pas en contact "direct" avec ce dernier, et ne doit donc porter qu’un masque chirurgical. Il n’est donc pas protégé de particules aériennes porteuses du virus. Même si le vecteur principal de transmission du virus sont les gouttelettes émises par le malade, la transmission par l’air est aussi possible.

Cette logique montre que ces décisions ne se basent pas que sur des recommandations sanitaires, mais aussi purement pratiques : en situation de pénurie, il faut faire des choix qui ne permettent pas une protection optimale des personnes en contact avec le coronavirus. Pour preuve, le document du CSS reprenant les recommandations précise également que des "conditions exceptionnelles" d’utilisation des masques sont permises en cet épisode épidémiologique, c’est-à-dire des conditions où le nombre d’heures de port du masque est plus important que les recommandations habituelles.

Conséquence, le personnel soignant comme lui aussi à tomber malade, entraînant une pression encore plus soutenue sur le système de santé, qui devient alors de moins en moins capable de soutenir le choc de l’épidémie.


►►► Coronavirus : plus de 16 millions de masques chirurgicaux reçus, 11 millions distribués


Dès l’arrivée du virus dans notre pays, les stocks de masques étaient clairement insuffisants pour protéger au mieux le personnel soignant dans cette lutte quotidienne. Manque de prévoyance, non-application du principe de précaution, désinvestissement dans le système de santé belge, impossibilité de prévoir une épidémie d’une telle ampleur ? Le temps est à la recherche de solutions, et non de coupables, mais dès que l’épidémie sera maîtrisée, il faudra urgemment tirer les leçons de cet épisode épidémiologique inédit dans notre société contemporaine.

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