“ll faut supprimer les points à l’école”: après la fin des devoirs, la nouvelle proposition du président de la Ligue des Droits de l’Enfant
Rencontre avec Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de l’enfant.
- Publié le 26-02-2020 à 10h18
- Mis à jour le 26-02-2020 à 10h19
Rencontre avec Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de l’enfant.
Vous défendez, en tant que président de la Ligue des droits de l’enfant, une série de propositions qui vont à l’encontre de ce qui se pratique dans notre système scolaire. Parmi elles : la fin des notes. Pourquoi ?
"Notre système d’enseignement est dramatique. Il dysfonctionne complètement mais on refuse dans la plupart des écoles de remettre une série de choses en question comme les devoirs, le redoublement et les notes. Les professeurs se demandent ce qu’ils peuvent bien faire s’ils ne peuvent pas mettre de points aux élèves. Il est pourtant possible de faire autrement. En Finlande, la note la plus basse, c’est 4 /10. Avec un quatre, l’élève sait qu’il peut rattraper son retard et remédier à ses difficultés, Ce n’est pas un échec dramatique. Ici, quand un élève a un zéro en octobre, il va avoir beaucoup de difficultés à se rattraper pour le bulletin de Noël et son année est déjà pratiquement fichue parce que le prof a décidé que l’élève n’était pas capable de réussir son année."
Faut-il selon vous renoncer à évaluer les élèves pour leur bien-être ?
"L’évaluation est incontournable dans notre métier. Les enseignants doivent s’assurer que tous les élèves ont acquis les savoirs et, comme il y en a toujours qui sont plus lents que les autres, l’évaluation est importante parce qu’elle permet de prendre des mesures pour aider l’élève à récupérer un niveau suffisant pour passer à la suite de la matière. Sinon, c’est le décrochage. On vise quand même un niveau important pour les enfants mais on ne peut pas non plus viser la perfection pour tous."
Que reprochez-vous précisément au système d’évaluation basé sur des points ?
"Les points mettent les enfants en concurrence. Sans les points, notre système scolaire serait complètement différent. Les écoles ne pourraient plus sélectionner certains élèves et en écarter d’autres pour les envoyer dans des écoles moins élitistes. Je n’aime pas le terme ‘école poubelle’ car les élèves ne sont pas des déchets. Mais les écoles qu’on désigne par ce terme reçoivent les enfants cassés, en ont besoin pour exister et tant pis pour leur avenir."
Comment faudrait-il évaluer les enfants selon vous?
"Moi, je mets des couleurs plutôt que des points : du vert quand c’est réussi, de l’orange quand c’est satisfaisant et du rouge quand ce n’est pas compris. Et quand j’évalue mes élèves, je corrige positivement. Par exemple, je mets des V à chaque fois que l’élève répond correctement. Mon rôle en tant qu’enseignant est d’aider l’élève qui n’a pas tout compris. Je corrige jusqu’à ce que tout soit en vert. L’apprentissage de cet élève aura peut-être pris trois fois plus de temps que celui du plus rapide mais, à la fin, tout le monde y gagne."
"L'école est un lieu de non-droit"
Selon Jean-Pierre Coenen, l’école belge est le lieu de toutes les discriminations. Parmi toutes les matières en lien avec les droits de l’enfant, c’est l’enseignement qui semble retenir le plus votre attention. Pourquoi ?
"L’école est le lieu où tous les enfants se retrouvent et l’école est un lieu de non-droit. C’est dans les écoles qu’il y a le plus de discriminations."
Comment ça ?
"L’école est discriminatoire et elle amplifie les inégalités sociales. Elle met en échec les élèves qui viennent de milieux défavorisés. Il faut cinq générations pour que des enfants sortent de la pauvreté. C’est l’Onu qui avait un jour calculé ça. L’école enfonce les enfants dans la pauvreté et les y maintient. Il faut plus de 100 ans pour que les familles en sortent. C’est cette discrimination que l’école porte et continue à porter."
L’école n’a-t-elle pas progressé au niveau de l’inclusion des élèves défavorisés ou porteurs de handicap ? Notamment avec l’obligation des aménagements raisonnables pour les enfants porteurs de handicap ou de troubles de l’apprentissage ?
"Quand on a une différence, on est d’office éjecté. On se bat d’ailleurs contre les orientations dans l’enseignement spécialisé. Pour nous, un enfant qui a un handicap physique, intellectuel ou social n’a rien à faire dans l’enseignement spécialisé. Sans parler des enfants qui n’ont aucun handicap à part social et qu’on oriente vers l’enseignement spécialisé. Ces enfants sont condamnés. On leur dit dès le début de leur scolarité qu’ils n’ont pas d’avenir. Au mieux, ils finiront dans le professionnel. Le professionnel où ils seront le mandai du mandai (NdlR : homme à tout faire !). C’est ça l’école, un lieu où il ne faudrait pas mettre d’enfants. Heureusement, il y a des écoles merveilleuses qui pratiquent d’autres types de pédagogie mais la plupart des écoles sont des lieux où il ne faudrait pas mettre d’élèves. Elles ne sont pas faites pour les enfants mais pour les enseignants."