"Si tu ne donnes pas ton code, on te pète les dents"
Selim risque 5 ans de prison pour 14 faits commis quand il avait 17 ans. Dont l’agression d’une octogénaire. Croquis de justice.
- Publié le 15-02-2020 à 07h29
- Mis à jour le 15-02-2020 à 07h31
Selim risque 5 ans de prison pour 14 faits commis quand il avait 17 ans. Dont l’agression d’une octogénaire. Croquis de justice.
On dirait C’est arrivé près de chez vous. Sauf que pour Mariette*, 81 ans, c’est vraiment arrivé, chez elle. Ce jour de mai 2017, sa vie a basculé après un coup de sonnette. L’octogénaire, qui regardait la télé, va ouvrir la porte. Il y a là un adolescent qui lui demande s’il peut parler à un soi-disant locataire. La vieille dame qui vit seule dans sa maison de Schaerbeek n’a pas le temps de répondre que deux autres jeunes arrivent, mettent le pied dans la porte et entrent de force. Le trio - des jeunes du quartier - la bouscule, la jette à terre, lui donne des coups. Elle crie. Les trois jeunes lui attachent les poignets avec des colsons, serrent fort. Mariette est traînée dans son salon. On lui arrache la petite chaîne en or qu’elle porte au cou, sa montre, ses bagues.
Côtes froissées
Deux des trois voyous fouillent la maison à la recherche de bijoux, d’argent et d’autres objets de valeur pendant que le troisième reste en bas pour surveiller Mariette. En redescendant, ils ont un petit creux. Ils ouvrent le frigo, se préparent un en-cas et viennent manger dans le salon. L’octogénaire est toujours à terre. Ils gravent deux messages sur les colsons qui entravent la vieille dame. On devine que l’un est adressé aux policiers ("Faites les empreintes, bande de cons") et l’autre à un de leurs "amis" ("S., baise ta mère et J.")…
Avant de partir avec la carte de banque et le GSM de Mariette, ils la menacent encore : "Si tu ne donnes pas ton code, on te pète les dents." L’octogénaire s’exécute. Un quart d’heure plus tard, ils s’en servent au terminal Bancontact d’un night-shop tout proche.
Les policiers ont été prévenus par un des auteurs qui, depuis le portable de la victime, prétendait "entendre des appels à l’aide d’une vieille dame". Les jeunes sauvages se sont ensuite débarrassé du GSM de Mariette en le jetant dans un buisson.
À la suite de cette agression, la victime souffre de côtes froissées, de douleurs aux bras et de stress. Après un mois d’incapacité, les plaies étaient soignées. Mais l’angoisse et la peur sont restées. L’octogénaire n’a pas pu retourner vivre dans sa chère maison, pleine des souvenirs de toute une vie et des cadeaux de son défunt mari. Elle a dû entrer en maison de repos.
Sur le banc des prévenus, Selim*, 20 ans, soupire et bâille. À l’époque des faits, il était mineur. Mais le juge de la jeunesse s’est dessaisi de son dossier. Le jeune homme doit désormais répondre de cette agression devant la justice des adultes. Il comparaissait mercredi devant la 22e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles, dédiée aux dessaisis.
L’agression de Mariette n’est pas le seul fait mis à sa charge. Il y en a… 13 autres, qu’il aurait commis entre 16 et 18 ans : un arrachage de sac en rue (la victime est une septuagénaire atteinte de polio) ; un vol avec effraction ; un vol de voiture ; un vol de caméra de vidéosurveillance (de la zone de police de Bruxelles-Nord !) ; un recel de vélo ; des coups et blessures avec incapacité…
"J’ai pas envie de parler de ça"
"Vous reconnaissez ces faits ?", interroge le président. "Tout, sauf deux" - l’agression de Mariette et l’utilisation de sa carte de banque, lâche Selim. Pour le parquet et les parties civiles, il n’y a pourtant aucun doute : le prévenu a été identifié sur les images des caméras de vidéosurveillance du night-shop sur la base des vêtements très reconnaissables (un tee-shirt rose fluo barré de tags, un pantalon et des baskets) portés par un des auteurs et qui ont été retrouvés dans la chambre de Selim.
Le magistrat poursuit. "Il reste quand même pas mal de choses qu’on vous reproche. Comment expliquez-vous cela ?" L’autre dit du bout des lèvres : "Des erreurs que j’ai commises." Arracher le sac d’une vieille dame qui boite, c’est plus qu’une erreur, non ?, objecte le juge. Et les coups, les violences ? "Vous frappez souvent les gens ?" Le prévenu jette avec arrogance : "J’ai pas envie de parler de ça." Le président fait une deuxième tentative : "Vous n’avez pas envie de répondre à mes questions ?" La réponse fuse : "Non !" Fin forcée de l’interrogatoire.
Dénué de toute conscience morale
Selim lève les yeux au plafond, comme détaché de tout ce qui se dit devant le tribunal. Il montre ostensiblement que cette audience l’ennuie à mourir. Comme s’il était dénué de toute conscience morale.
Dès avant 16 ans, cet aîné de neuf enfants donne du fil à retordre. Il fait partie d’un groupe de jeunes qui commet des extorsions et des vols dans les écoles. Il fait des allers-retours entre des IPPJ (institutions publiques de protection de la jeunesse) et sa famille "dysfonctionnelle". Coups, blessures, vols de scooter… Les rapports des services d’aide à la jeunesse vont tous dans le même sens : but de lucre, absence d’empathie, non-respect de l’autorité, banalisation de l’usage de la violence, leader négatif…
Placé au centre pour jeunes de Saint-Hubert, il refuse de se rendre à l’expertise psychiatrique. À 18 ans, il semble se calmer et ne fait plus parler de lui. Ça ne dure pas ; quelques mois après sa majorité, il est placé sous mandat d’arrêt pour un vol avec violence - il doit comparaître lundi pour ce fait. Deux autres dossiers suivront.
Le juge de la jeunesse n’avait plus d’autre choix que de se dessaisir du dossier : les mesures protectionnelles, qui ont toutes échoué, n’avaient plus le moindre sens. "Que pensez-vous de tout ça ?", interroge le président. Bras croisés, Selim rétorque d’un air de défi : "J’ai rien à répondre."
La procureure réclame une peine de 5 ans de prison ferme. Jugement le 11 mars.
*Prénom d’emprunt.