L'ultra-traileur Gediminas Grinius: "J’ai préféré la course à l’alcool et la drogue"
Le running a sauvé la vie de Gediminas Grinius (40 ans) lorsque l’ultra-trailer est revenu de la guerre au Moyen-Orient.
- Publié le 21-01-2020 à 17h04
- Mis à jour le 21-01-2020 à 18h32
Le running a sauvé la vie de Gediminas Grinius (40 ans) lorsque l’ultra-trailer est revenu de la guerre au Moyen-Orient.
Ses pas se font entendre au-dessus de nous. Rapides et légers malgré la pente raide et glissante. On s’écarte pour laisser passer une fusée.
Casquette à l’envers, regard braqué sur le sol, Gediminas Grinus dévale à toute vitesse la descente la plus compliquée de la MaxiRace Madeira, dont la 2e édition a eu lieu début décembre sur l’île portugaise. On le salue et celui qui fut lauréat de l’Ultra-Trail World Tour en 2016 prend le temps de nous répondre et demande comment nous allons.
Quand on le retrouve le lendemain de la course, on lui confie qu’à peine une minute après l’avoir vu, nous avons glissé sur un rocher et cassé notre bâton dans la chute.
"C’est donc à vous qu’appartenait le bâton que j’ai vu dans un sac-poubelle au troisième ravitaillement."
Bien vu Gediminas. Mais comment a-t-il pu voir le résultat de notre chute alors qu’il se trouvait devant nous ? Tout simplement car après avoir terminé deuxième sur la distance de 25 kilomètres (NdlR : il aurait gagné s’il ne s’était pas perdu), Grinius est remonté faire une boucle de 15 bornes.
Le Lituanien de 40 ans est une force de la nature. Un guerrier qui puise dans son expérience en tant que soldat en Irak et en Afghanistan et les traumatismes qui ont suivi pour rester l’un des meilleurs traileurs au monde. Il est, pour beaucoup, devenu une icône prouvant que la course à pied peut sauver des vies. Le sport a, en tout cas, sauvé la sienne.
Vous dites toujours que vous n’êtes pas le meilleur ultra-runner au monde mais que vous avez une arme que beaucoup d’autres n’ont pas : votre mental. Comment expliquez-vous cela ?
"Cela vient de mes expériences, de mon passé. Beaucoup d’ultra-traileurs vont piocher dans leur histoire personnelle pour tirer le maximum d’eux-mêmes. Je le fais aussi via ce que j’ai connu lors de ma précédente vie en tant que soldat en Irak et en Afghanistan. J’en suis revenu avec un syndrome post-traumatique. J’ai vu des choses terribles là-bas. Cela a construit mon mental. Mes entraînements y ont également contribué. Courir dans la neige sous -20°c fait de toi un meilleur runner."
À quoi pensez-vous en course ?
"Je trouve toujours un moyen de me motiver. Prenez cette course à Madère. Mon plan initial était de courir tranquillement avec ma femme, sans pousser. Ma caméra foirait, donc je ne pouvais pas bien filmer la course. Elle m’a dit d’aller gagner l’épreuve et ça m’est resté en tête. Tout au long du tracé, je ne pensais qu’à la victoire. Je n’avais que ça en tête. Ce sont de petits détails qui me boostent."
À quel point le sport peut-il être salvateur pour des gens qui ont, comme vous, vécu de graves traumatismes ?
"Cela aide. On a lancé la Trail Running Factory (NdlR : qui organise des stages de trail) et j’ai coaché plusieurs athlètes qui ont connu des événements difficiles dans leur vie. Il y a, par exemple, une femme qui a eu un gros accident qui a impacté son cerveau. Nous avons aussi des pompiers, des militaires, etc. Certains ont vécu de pires moments que moi."
Comment faites-vous pour les aider ?
"Nous essayons de partager nos expériences. Quand tu parles et que tu t’ouvres aux autres, ça aide à évacuer la pression. Le running permet d’avoir l’esprit clair et ne plus penser aux soucis du quotidien."
Vous avez vécu des événements hors du commun. Pensez-vous qu’un burn-out ou une dépression puisse être en partie soigné en courant ?
"Bien entendu et c’est prouvé scientifiquement. Commencer à courir signifie apprendre de nouvelles choses, s’améliorer. Apprendre permet de créer des connexions mentales qui ont parfois été détruites avec la maladie. Surtout dans ces cas-ci."
Vous, comment avez-vous vécu vos débuts de runner au retour de la guerre ? N’était-ce pas compliqué de vous lancer ?
"Il est plus difficile de vivre avec un syndrome post-traumatique que de se lancer dans le sport. Ce genre de maladie impacte toute la famille. Je n’avais qu’une envie : trouver un remède à ma maladie. Le running a fait office de cure. J’ai préféré cela à l’utilisation de drogues ou à la consommation d’alcool. La course à pied avait le même effet sur moi que l’alcool. Le choix était vite fait."
À quelle vitesse vos soucis se sont-ils dissipés ?
"C’était en 2007 et en 2009, j’allais déjà beaucoup mieux. J’étais un autre homme. Guéri. Certains éléments déclenchent encore certaines réactions en moi. Parfois, c’est un film et, parfois, c’est quelqu’un qui claque une porte trop fort. Mais cela fait partie de mon passé."
Quand vous êtes à bloc dans un ultra et que vous sentez vos jambes lourdes, pensez-vous à ce que vous avez vécu en Irak et en Afghanistan.
"Parfois, je me souviens à quel point j’ai souffert par le passé et je me dis que ce que je vis est juste une souffrance physique, pas mentale et que je peux passer outre. J’ai vu des gens mourir sous mes yeux. Avoir mal aux jambes ne signifie pas grand-chose à côté de cela."