"Une majorité PS-N-VA ne verra pas le jour"
Il y a vingt ans, Philippe Busquin tirait sa révérence de la scène politique belge pour se tourner vers un destin européen, comme commissaire et député. Cela n'empêche pas l'ancien président du PS (1992 et 1999) de continuer à s'intéresser aux soubresauts qui agitent le plat pays. Interview.
- Publié le 04-01-2020 à 11h45
- Mis à jour le 04-02-2020 à 11h46
Il y a vingt ans, Philippe Busquin tirait sa révérence de la scène politique belge pour se tourner vers un destin européen, comme commissaire et député. Cela n'empêche pas l'ancien président du PS (1992 et 1999) de continuer à s'intéresser aux soubresauts qui agitent le plat pays. "En des périodes comme celles-ci, j'assiste même aux bureaux de parti, dont je suis membre de droit. Je suis plutôt là en observateur avisé. Je n'irais pas jusqu'à affirmer que j'ai encore un mot à dire...", reconnaît le ministre d'Etat, aujourd'hui âgé de 79 ans. "Comme citoyen, je suis particulièrement attentif et inquiet de l'évolution de la situation", renchérit le Seneffois. Philippe Busquin est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Etes-vous favorable à un gouvernement associant PS et N-VA ?
En Belgique, nous devons composer des gouvernements de compromis. Comment faisait-on auparavant ? Les partis bâtissaient une alliance sur base des convergences, et les divergences se neutralisaient. Les désaccords ne figuraient pas dans la déclaration de politique gouvernementale. Aujourd'hui, la situation est différente car la finalité de la N-VA n'est pas de composer un bon gouvernement fédéral. C'est le fond du problème. N'oublions pas non plus leur comportement dans le gouvernement de Charles Michel : ils l'ont quitté et ont donc rompu la confiance. Avec les partis traditionnels, il y avait un minimum de confiance entre partenaires. Certains au MR n'ont toujours pas digéré le comportement des nationalistes.
Le manque de confiance peut avoir des incidences sur les négociations actuelles ?
Oui, tout comme le respect des autres, la manière d'être. La manière dont Bart De Wever a traité Paul Magnette avec sa "bouillie arc-en-ciel", c'est scandaleux. Ce sont des propos qu'on ne tient pas après les élections, lorsque l'on doit construire. Dans un potentiel gouvernement avec les nationalistes, le ministre qui pourrait jouer un rôle important, c'est Francken. Outre ses propos plus que discutables, sa manière d'être avec son Premier ministre n'était pas acceptable. Théoriquement, il n'y a pas de raison de refuser la N-VA, car ce parti n'est pas ouvertement raciste comme le Vlaams Belang. Mais, au-delà des programmes, ces éléments humains créent un climat de doutes.
Bart De Wever abonde dans le sens du PS sur le relèvement des pensions les plus basses. Cela constitue-t-il une base suffisante ?
C'est complètement insuffisant. Cette mesure est normale et naturelle. Le gros problème pour les citoyens, c'est la dérive budgétaire et l'avenir de la sécurité sociale, qui va être en déficit de 1,3 milliard et qu'on doit refinancer. C'est un problème clé pour le PS, au-delà des mesures ponctuelles comme les pensions à 1500 euros ou le salaire minimum. Or, le Voka - qui est proche de la politique de la N-VA - dit qu'il faut régionaliser les soins de santé et l'emploi, c'est impensable.
Sur quoi la N-VA va-t-elle devoir céder pour que le PS accepte de négocier ?
La N-VA doit poser un acte fondamental. Ce serait de dire "nous refinançons la sécurité sociale". Quand on entendra ça de Monsieur De Wever, il y aura moyen de discuter.
Vous croyez qu'une majorité PS-N-VA verra le jour ?
Non, une telle majorité ne verra pas le jour. De manière plus large, je ne vois pas qui, chez les francophones, éprouve une volonté forte d'aller avec la N-VA. Personne ne partage de grandes convergences avec ce parti.
Des membres du s.pa ont pourtant montré une vraie ouverture pour des négociations avec la N-VA, comme Freya Van den Bossche...
D'abord, Freya Van den Bossche n'est pas un exemple de réussite politique. Ca a été un météore, qui ne pèse pas beaucoup. Même à Gand, elle ne parvient pas à garder son leadership. Mais c'est logique que le s.pa ne s'exprime pas de la même manière que le PS, notamment sur les difficultés rencontrées sur le plan fédéral. La N-VA a des alliances avec à peu près tous les partis en Flandre, notamment avec les socialistes à Anvers. C'est sa force.
Etes-vous surpris des rapports actuels entre les politiques du nord et du sud du pays ?
Il y a eu une détérioration générale des relations entre francophones et Flamands. A mon époque, nous avions des liens assez forts entre présidents de parti. J'avais par exemple de très bons contacts avec le s.pa et nous nous rencontrions au moins une fois par mois avec la FGTB et les mutuelles. Aujourd'hui, les ministres flamands n'ont plus qu'un francophone dans leurs cabinets : le chargé de communication pour le sud du pays. Il y a 20 ans, mon chef de cabinet était un Flamand et on se complétait. Ce manque d'interpénétration est un gros problème.
Vous comprenez le choix du CD&V, qui refuse de se déscotcher de la N-VA ?
Ce parti n'est plus du tout majeur. Je ne comprends pas leur choix. Le député Eric Van Rompuy affirme qu'ils ont peur d'un gouvernement plus à gauche pour le budget. Or, dans le gouvernement précédent, plutôt de droite, il n'a jamais caché qu'il n'était pas d'accord avec la gestion budgétaire...
Le bourgmestre socialiste Emir Kir avait accueilli, à l'hôtel de ville de Saint-Josse, deux maires turcs d'extrême droite. Le PS a-t-il eu raison de l'exclure ?
Je l'ai connu à ses débuts. C'était un garçon intelligent, très prometteur. Là, il a commis une erreur en recevant ces gens. On ne peut pas accepter cela et il ne peut pas toujours jouer l'électron libre. De là à l’exclure, je trouve cela excessif.
Existe-t-il un vrai clivage entre socialistes bruxellois et wallons sur l'approche communautariste ?
"Clivage" est un grand mot. La situation est différente à Bruxelles et en Wallonie, où le problème communautariste n'est pas si important. C'est valable pour d'autres partis. L'approche bruxelloise est différente dans un certain nombre de problèmes.