Grève: les Parisiens au bord de la crise de nerfs
Après plus de quarante jours de grève, la capitale ressemble à une cocotte-minute au bord de l’explosion.
- Publié le 16-01-2020 à 15h21
Après plus de quarante jours de grève, la capitale ressemble à une cocotte-minute au bord de l’explosion.
Le centre de Paris est bondé, en cette fin d’après-midi pluvieuse de la mi-janvier. Un scooter circule à contre-sens, puis monte sur la chaussée pour éviter un automobiliste qui vient à sa rencontre. Les reproches fusent, puis les insultes, puis les menaces. Finalement, chacun reprend son chemin, comme si de rien n’était. C’est une journée parisienne ordinaire, depuis qu’il y a plus de quarante jours, les transports sont quasiment à l’arrêt, du fait de la grève contre la réforme des retraites. À chaque instant, la tension est palpable dans les rues de la capitale. À chaque instant, on sent que les choses peuvent dégénérer.
Rarement, depuis plusieurs dizaines d’années, on avait senti les Parisiens aussi à cran, aussi proches de la limite entre la civilité ordinaire et une certaine forme de brutalité. Il faut dire que la situation est toute sauf normale : la grève a battu tous les records : celui de la grande grève de 1995, qui avait vu Alain Juppé - pourtant autoproclamé "droit dans ses bottes" - reculer face à l’ampleur de la contestation. Mais aussi celui de 1986-1987, qui avait duré 28 jours sans trêve de Noël, pour la défense des salaires et des conditions de travail. Cette fois encore, il n’y a pas eu de trêve de Noël. Mais cette fois, la grève s’étire, au point que certains commencent à douter qu’il y ait finalement un jour un retour à la normale.
Le règne du chacun pour soi
Bien sûr, certains prennent leur mal en patience. À l’image de Nathalie, 47 ans, assistante de direction. Cette mère de famille avenante, qui habite Asnières, va travailler chaque jour dans le sud de Paris. Pour ce faire, elle doit emprunter la ligne 13, sans doute l’une des pires de la capitale. Quand elle n’est pas fermée - ce qui a été le cas quasiment tout le temps ces dernières semaines -, les usagers se serrent comme des sardines pour entrer dans les wagons, tant les métros sont rares, et les places comptées. Nathalie, de son côté, a renoncé quelques jours après le début du mouvement social. Elle prend le bus - quand il y en a - sinon, elle pratique le covoiturage avec des habitants du quartier qui vont dans la même direction. "De toute façon, on n’y peut rien, donc mieux vaut prendre les choses avec philosophie, témoigne-t-elle. Et puis cela permet de rencontrer des gens que l’on n’aurait pas connus autrement." La quadra affirme aussi comprendre les motivations des grévistes, qui savent déjà que leur pension sera trop maigre pour leur assurer un niveau de vie décent.
D’autres ont moins d’empathie vis-à-vis de la contestation. À l’image de Patrice, cadre supérieur qui habite à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), et travaille dans le nord de Paris. Faute de transports en commun efficaces, il prend tous les jours sa voiture pour aller travailler. Au prix de trajets de près de trois heures par jour, aller-retour. "C’est inadmissible que l’on empêche les gens de travailler, martèle-t-il. Au moins, ils auraient pu faire une pause pendant les congés de fin d’année, pour laisser les gens aller voir leur famille où partir en vacances." Patrice a pu constater la dégradation de l’ambiance dans la capitale. "Les gens sont tous à cran, poursuit-il. Au moindre incident, on sent que la situation peut dégénérer." Les incidents et incivilités diverses se multiplient. Vélos qui passent au feu rouge, trottinettes et scooters qui circulent sur les trottoirs, voitures qui passent sur les pistes cyclables, au risque d’écraser les vélos… De plus en plus, c’est le règne du chacun pour soi.
Peu à peu, la capitale recommence à respirer
Pour tous, il est temps que la grève se termine. Depuis quelques jours, le trafic est en voie d’amélioration. Les trains sont plus nombreux, les lignes de métro circulent avec davantage de régularité. Ce 15 janvier, huit TGV sur 10 circulaient. Le trafic était également quasi normal concernant l’Eurostar et le Thalys. S’agissant du métro, des lignes qui étaient jusque-là presque totalement fermées - à part tôt le matin et le soir - se remettent à fonctionner. La capitale, asphyxiée par la thrombose de ses transports en commun, recommence petit à petit à respirer. Les esprits se calment, à mesure que l’espace vital augmente dans les bus, dans les trams et dans les métros. La vie, peu à peu, reprend son cours presque normal. "C’était devenu invivable, on risquait presque sa vie en traversant la rue, constate Thomas, coursier de 26 ans, qui se déplace un peu partout dans Paris à vélo. Là, les choses s’améliorent, on sent que la situation redevient presque normale." Après l’éreintement, l’incompréhension, voire pour certains la colère, c’est une forme de soulagement qui s’est installée. Le bout du tunnel est désormais en vue. Mais, lorsque l’on parlera de la "grande grève", on évoquera désormais sans doute 2019-2020. Et chaque Parisien en est sûr : il se souviendra de cet hiver à nul autre pareil.