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Les anciennes gloires qui se cachent dans les vestiaires de Londerzeel

À 20 km au nord de Bruxelles subsiste une bande de joyeux drilles. D’anciennes gloires en fin de parcours qui ont décidé de jouer ensemble les prolongations. Ils s’appellent Craig Bellamy ou Nicolas Frutos. Daniel Camus ou Tom Caluwe. Et ont en commun l’appétence des carrières qui s’éternisent. Et des soirées à rallonge.

On peut avoir 294 matchs de Premier League dans les jambes, 40 printemps bien sonnés, et continuer de passer ses vendredis soir à chasser le cuir comme un gamin sur un terrain synthétique mal éclairé dans le Brabant flamand, à plus de 600 kilomètres de chez soi. C’est le charme des passionnés. Et des rebonds inattendus.

Cinq ans après avoir disputé et fêté son dernier match officiel avec Cardiff City en Premier League en inscrivant son 121e but en carrière contre Chelsea, Craig Bellamy apprend la patience dans l’équipe vétéran de Londerzeel en revisitant les classiques qui ont fait sa légende. De la grinta, de la mauvaise foi, quelques excès parfois aussi.

 » C’est vrai, il peut péter un câble pour un contrôle raté d’un de ses partenaires ou parce qu’il trouve que ça ne va pas assez vite à son goût « , avoue Laurence Verbelen, ce coach en charge de contenir l’enthousiasme de l’ancienne star de Premier League sur les prés brabançons.  » Mais je crois qu’il s’agit d’une déformation professionnelle. Il paraît que ça fait ça quand on a côtoyé le très haut niveau.  »

En vrai, Verbelen ne sait pas de quoi il parle. Ancien semi-pro, lui s’est arrêté à Tubize dans ses meilleures années avant de se reconvertir ces derniers mois en entraîneur pour guests en manque de (bons) ballons. À Londerzeel donc.  » Pour la défense de Craig, il faut bien dire qu’il n’était, entre guillemets, jamais tombé si bas  » continue Verbelen.  » Mais depuis quelques semaines, je sens qu’il prend le pli. Il comprend que tout le monde ne peut pas avoir son niveau à lui…  »

Vette hanen

Quoique… Si, à l’autopsie, personne n’égale chez les  » Vette Hanen » (littéralement « gros coqs », jeu de mots avec « veteranen », vétérans) du SK Londerzeel le CV de Bellamy, ils sont quand même quelques-uns à ne pas avoir fait que jouer aux billes pendant leur carrière. Revenu en 2011, Tom Caluwé, enfant de la maison, mais surtout ancien Diable rouge (1 sélection, 1 but contre l’Arabie saoudite en 2006 sous René Vandereycken) est de ceux-là. Passé dans son jeune temps par Malines, Willem II ou Utrecht, il sera aussi le premier à activer son carnet d’adresses pour transformer petit à petit cette équipe d’anonymes en gourbi pour d’illustres retraités en manque de sensation.

Bellamy peut péter un câble pour un contrôle raté d’un de ses partenaires ou parce qu’il trouve que ça ne va pas assez vite à son goût.  » Laurence Verbelen, le coach

D’abord en contactant dès 2014, à la fin de sa carrière de joueur, son pote d’enfance Gunter Van Handenhoven (ex-Gand, Metz, La Louvière, Lokeren). Quelques bons restes, mais des cartilages en mousse après 8 opérations aux deux genoux ces dernières années, qui feront atterrir plus rapidement que prévu l’ancien team manager d’Anderlecht – licencié en septembre dernier – dans les cages. C’est ce dernier, par l’intermédiaire de son activité de l’époque à Neerpede, qui ramènera Nicolas Frutos d’abord, puis, en août dernier, Craig Bellamy, tout juste arrivé dans les valises de Vincent Kompany pour reprendre les U21 chez les Mauves.

L'ancien team manager d'Anderlecht, Gunter Van Handenhoven, est le gardien des
L’ancien team manager d’Anderlecht, Gunter Van Handenhoven, est le gardien des  » Vette Hanen « .© BELGAIMAGE – JAMES ARTHUR GEKIERE

 » Ce sont deux gros noms, mais je sais généralement à qui je m’adresse « , valide Van Handenhoven.  » Des mecs qui ont encore faim de ballon, mais surtout des gars bonne ambiance qui savent qu’en venant ici, ils n’ont rien à gagner d’autre que de retrouver le plaisir du jeu. Ça se fait donc généralement très simplement. Par exemple, j’étais encore à Anderlecht en début de saison et Craig m’a entendu parler de Londerzeel. Il avait l’air intéressé, donc je lui ai proposé de venir jouer avec nous.  »

Un noyau bien pourvu

Une grosse cylindrée ajoutée à un noyau déjà bien pourvu. De Daniel Camus (ex-RWDM, Gand, Malines, Charleroi, La Louvière) à Jan Verlinden (ex-Malines), en passant par Patrick Dimbala (ex- Alost, Gand, Mouscron) ou Benjamin Rogerio De Oliveira (Champion de Belgique avec Genk en 1999 et passé par La Louvière). Un Kamoulox géant qui se joue avec la semelle et le plus souvent en plantant des raclées.

En Angleterre, c’était impossible pour moi de jouer comme ça, juste pour le plaisir. Je me serais fait tuer à chaque touche de balle en tant qu’ancien pro.  » Craig Bellamy

En vrac ces dernières semaines un 0-10, deux 6-0, un 9-0 et quelques scores de forfaits. De quoi alimenter encore un peu le boulier compteur de ce rapace de surface né qu’est Nico Frutos, 10 pions cette saison malgré un temps de jeu contrarié par un corps qui continue de jouer les intermittents.

 » J’en suis à un but toutes les 26 minutes cette saison « , se réjouit d’ailleurs le héron argentin, un rien obsédé par ses stats.  » Le point positif, c’est que je marque toujours autant, mais le problème, c’est que je souffre à chaque match. Je suis incapable de disputer une rencontre complète…  » Fragile comme jamais, l’ancien target man des années Vercauteren et Jacobs alterne le chaud et le froid, mais continue de trop souvent malmener son corps.

Le barbu Craig Bellamy, aussi à l'aise dans la buvette que sur le terrain.
Le barbu Craig Bellamy, aussi à l’aise dans la buvette que sur le terrain.© BELGAIMAGE – JAMES ARTHUR GEKIERE

Amaigri, au régime sans alcool, sans gluten et presque sans rien en fait depuis des mois, l’Argentin de 38 ans continue, près de dix ans après sa retraite, de chercher les raisons de ce mal chronique qui le ronge depuis trop longtemps au niveau du tendon d’Achille et qui l’empêche de tenir 70 minutes (2×35, ici on respecte les anciens ! ) face à des joueurs amateurs.

Stupid idiot

Finalement, Nico Frutos s’épanouit donc dans un rôle de super sub taillé sur pièce pour lui. Ce que Craig Bellamy ne sera jamais. Question de principe.  » Vous allez rire. Un jour, je l’ai sorti pour faire tourner parce qu’on gagnait largement « , se marre Laurence Verbelen.  » Et puis, l’idée, ça reste d’offrir plus ou moins le même nombre de minutes à tout le monde, mais il a râlé. Il m’a dit : tu me mets back gauche si tu veux, mais tu me laisses sur le terrain « .

Et Craig Bellamy a fini à l’arrière gauche. Histoire vraie, mais improbable d’un obstiné. Et d’un homme qui obtient généralement ce qu’il veut. Il paraît, en effet, qu’il vaut d’ailleurs parfois mieux ne pas le frustrer. Wim Eeckelaers, président depuis onze ans de Londerzeel, a appris à y faire pour soigner ses artistes. Et récolter ça et là leurs doléances.  » Quand Laurence l’a mis arrière gauche, il l’a traité de stupid idiot, ça a fait rire tout le monde. Il est venu me voir et il m’a dit qu’il était venu pour jouer parce qu’il adore ça, c’est tout. Mais qu’il n’y avait pas de malaise.

Et m’a rappelé cet épisode avec Rafael Benitez à Liverpool. Ce dernier l’avait laissé sur le banc en finale de Ligue des Champions et Craig l’avait très mal vécu. Il a été jusqu’à me dire que s’il se retrouvait un jour seul dans une pièce avec Benitez, il saurait lui exprimer sa façon de penser. Mais je crois que c’était une façon de parler ( rires). »

Reste que l’image parle. Et dit tellement de ce Gallois qui, douze ans après les faits, rumine encore sa frustration d’avoir été privé de dessert un soir de finale de Ligue des Champions 2007 contre le Milan AC. Treize ans plus tard, pour passer ses nerfs, Bellamy serait capable d’ afonner quatre bières à la suite en après match. C’est ce que raconte la légende à Londerzeel où les curieux s’agglutinent de plus en plus nombreux ces dernières semaines en bord de buvette pour voir l’ancienne gloire de Premier League faire le show.

En route vers le titre

Dans le vestiaire aussi, l’homme à ses adeptes.  » On aime bien tous parler en même temps, mais celui que tout le monde écoute, c’est Craig « , concède Jan Verlinden, ailier aux jambes de feu sur le terrain, coordinateur pédagogique au RSC Anderlecht à la vie.

 » Quand il prend le crachoir, tout le monde se tait. Il a une prestance naturelle ! Ce n’est pas n’importe qui pour moi, le petit gars de Malines. C’est marrant de se retrouver ici à jouer avec un mec comme ça qui me donne des caviars comme je n’en ai jamais eu 20 ans après mes débuts…  »

Et forcément, ça paye. Le vendredi 13 décembre dernier, les vétérans du SK Londerzeel mettaient fin à la série ininterrompue de 108 matchs et quatre ans sans défaite de Wolvertem-Merchtem avec un précieux succès (2-1) qui devrait logiquement leur ouvrir les portes du titre au printemps prochain.

La conséquence logique d’une discussion sérieuse que le groupe a eue au début du mois de septembre après une défaite lors de la première journée.  » Ça faisait deux ou trois saisons qu’on venait un peu à la carte « , raconte Daniel Camus.  » Parce qu’on tous beaucoup de choses dans nos vies avec le boulot, la vie de famille, etc. Mais en début de saison, le président, nous a dit que ce serait bien d’être un peu plus régulier. Que si on resignait tous pour un an, on le faisait à fond. On s’est engagé et depuis, force est de constater que les résultats sont là…  »

The nutter with the putter

C’est peu de le dire. 82 buts inscrits en 15 matchs joués pour seulement 9 encaissés et un titre probablement déjà acquis à mi-parcours. Et le bonheur simple de rechausser les crampons.  » C’est génial que je puisse rejouer au foot, parce que cela faisait cinq ans que je n’avais pas touché un ballon « , se réjouit simplement Bellamy.  » En Angleterre, c’était impossible pour moi de jouer comme ça, juste pour le plaisir. Je me serais fait tuer ( sic) à chaque touche de balle en tant qu’ancien pro. Ici, il y a plus de respect.  »

 » The nutter with the putter  » ou, en VF,  » Le débile avec le club de golf  » traîne, en effet, une réputation parfois encombrante outre-Manche. Et ce sobriquet à rallonge peu flatteur acquis de haute lutte en 2007 après avoir été accusé d’avoir frappé son coéquipier de Liverpool John Arne Riise à l’aide d’un club de golf à la suite d’une soirée trop arrosée. Quelques jours après cet épisode qui fera la une des tabloïds, le Gallois fêtait un but inscrit en huitième de finale de CL contre Barcelone en mimant un swing avec un club de golf imaginaire. Mythique. Tout comme la reconversion du Gallois en inspirateur de la fine fleur bruxelloise du côté de Neerpede depuis l’été dernier.

Le point positif, c’est que je marque toujours autant, mais le problème, c’est que je souffre à chaque match. Je suis incapable de disputer une rencontre complète…  » Nicolas Frutos

Ainsi naquit la magie de Londerzeel. Désormais, là-bas, un vendredi sur deux, on peut donc y voir Tom Caluwé refaire le monde avec un ancien bad boy de Premier League. Pour les nostalgiques du Malines de la fin du siècle dernier, on y croise aussi Tom Peeters ou Geoffrey Peytier rejouer les scènes du titre de D2 de 1999. Plus récemment, ce sont les bannis de l’Anderlecht de Kompany qui retracent la fin de leur histoire avec les Mauves. De Simon Schoonjans, l’ancien responsable du matériel en passant par Gunter Van Handenhoven.

Nicolas Frutos y va d'une tête plongeante. Le héron argentin a toujours le sens du but.
Nicolas Frutos y va d’une tête plongeante. Le héron argentin a toujours le sens du but.© BELGAIMAGE – JAMES ARTHUR GEKIERE

Tout ce petit monde a aujourd’hui en commun de connaître par coeur le chemin qui relie la buvette de la Brusselsestraat au Winter Bar du centre-ville. Une boîte de nuit classique, à condition de faire abstraction des télés sièges qui pendent au plafond. Un peu comme le SK Londerzeel. Une équipe de vétérans classique. À quelques exceptions près…

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